ProgrammeJeudi 23 octobre 2025 ( Vendredi | Samedi )08:30 — Enregistrement
09:45 — Accueil Auditorium Campra
Ouverture officielle du congrès — interventions de Vincent TIFFON et Charles DE PAIVA SANTANA, co-présidents du congrès, de Yves BALMER, président de la SFM, et des représentants d'Aix-Marseille Université 10:15 — Session 1A : Berio, Boucourechliev et Risset Salle Paray
Présidence : FÉRON François-Xavier 10:15 — Session 1B : Musique et cinéma 1 — Écritures et usages Salle Villette
Présidence : CARAYOL Cécile
10:15 — Session 1C : Circulations musicales et réseaux savants à l’époque moderne Salle Cezanne
Présidence : PSYCHOYOU Théodora
10:15 — Session 1D : Théorie, notation et pédagogie à la Renaissance Salle 005
Présidence : DEUTSCH Catherine
11:45 — Dynamiques éditoriales de la Société française de musicologie : bilan, enjeux et perspectives
Table ronde (Présidence : BALMER Yves), avec PIÉJUS Anne, DEUTSCH Catherine, MICHOT Jérémy, VERNET Thomas, AGRESTA Rosalba 12:30 — Déjeuner
14:00 — Session 2A : Risset et au-delà Salle Paray
Présidence : Jean-Pierre MOREAU
14:00 — Session 2B : Musique et cinéma 2 — Archives et perception Salle Villette
Présidence : ROSSI Jérôme
14:00 — Session 2C : Opéra 1 Salle Cezanne
Présidence : Charles de PAIVA SANTANA? 14:00 — Session 2D : Lutherie et cultures instrumentales Salle 005
Présidence : SPINELLI Emma 15:30 — Pause café
16:00 — Conférence plénière 1 Auditorium Campra
ELLIS Katharine (Université de Cambridge) Faire la musique d’église en France au XIX e : une histoire occultée 17:30 — Réunions de groupe SFM
Vendredi 24 octobre 202509:00 — Session 3A : Musique, enseignement, pédagogie et didactique Salle Paray
Présidence : Isotta TRASTEVERE
09:00 — Session 3B : Chanson et musiques populaires modernes 1 Salle Villette
Présidence : ANDREATTA Moreno 09:00 — Session 3C : Anthropologie et ethnomusicologie 1 Salle Cezanne
Présidence : TOURNY Olivier
09:00 — Session 3D : Méthodes, cognition et pratiques de la création musicale Salle 005
Présidence : MICHOT Jérémy
10:30 — Pause café
11:00 — Conférence plénière 2 Auditorium Campra
BAUER Amy (University of California, Irvine) “Anamorphosis, écriture and the evocation of nature in spectral music.” Intermède musical — BOUCOURECHLIEV André (1925–1997), Archipel IV pour piano — DEMAUMONT Camille (piano)
12:30 — Déjeuner
14:00 — Session 4A : Berio, Boucourechliev et Boulez Salle Paray
Présidence : DE PAIVA SANTANA Charles
14:00 — Session 4B : Chanson et musiques populaires modernes 2 Salle Villette
Présidence : KIPPELEN Étienne
14:00 — Session 4C : Anthropologie et ethnomusicologie 2 Salle Cezanne
Présidence : GABRY-THIENPONT Séverine 14:00 — Session 4D : Presse, critique et réceptions culturelles (XIX e –XX e siècles) Salle 005
Présidence : REIBEL Emmanuel
14:00 — Session 4E : Chanter en contexte social et politique (XVII e –XX e ) Salle 105
Présidence : à confirmer 15:30 — Pause café
16:00 — Remise des Prix SFM
16:30 — Conférence plénière 3 Auditorium Campra
PIENCIKOWSKI Robert [Titre à préciser] Intermède musical — BOULEZ Pierre (1925–2016), Trope , extrait de la 3 e Sonate pour piano — SHIN Jiyoun (piano)
Samedi 25 octobre 202509:00 — Session 5A : Écoutes et pratiques musicales en contexte colonial — Tunisie Salle Paray
Présidence : BALMER Yves
09:00 — Session 5B : Espaces, institutions et mécénat en France Salle Villette
Présidence : MATHIEU Melissa
09:00 — Session 5C : Archives et sources — approches ibériques et françaises Salle Cezanne
Présidence : SAINT-CRICQ Gaël
09:00 — Session 5D : Performance, mise en scène et cultures du spectacle Salle 005
Présidence : PIÉJUS Anne 09:00 — Session 5E : Session spéciale (Invités IDEAS) Salle 105
Présidence : FERRANDO Julien 10:30 — Pause café
11:00 — Conférence plénière 4 Auditorium Campra
MICHOT Jérémy (Université de Tours) Musicologies queer 12:30 — Déjeuner
14:00 — Session 6A : Analyse, cognition et esthétique (XX e –XXI e ) Salle Paray
Présidence : ELIPE GIMENO Javier
14:00 — Session 6B : Musique et mobilisations politiques (Afrique–Caraïbes) Salle Villette
Présidence : DARBON Nicolas 14:00 — Session 6C : Opéra 2 Salle Cezanne
Présidence : PIÉJUS Anne
14:00 — Session 6D : Circulations transatlantiques Salle 005
Présidence : PEREZ HERNANDEZ Mayelin
14:00 — Session 6E : session d'information (invités) : Éducation musicale & formation artistique Salle 105
Présidence : à confirmer
15:30 — Clôture
Résumés / AbstractsEntre tradition et modernité. La culture juive dans l’œuvre de BerioCompositeur particulièrement ouvert, Luciano Berio (1925-2003) accueille de nombreuses musiques d’origines très diverses dans son œuvre. On pourrait dire que cette œuvre est cosmopolite. On pense bien entendu aux fameux Folk Songs (énoncer les nationalités). Si la Sicile accompagne Berio pendant toute sa carrière, la culture juive prend de plus en plus d’importance dans les 20 dernières années de sa vie. Sans surprise, on peut attribuer cet intérêt grandissant à sa troisième compagne, Talia Pecker, qu’il épouse en 1976. D’abord relativement anecdotique (l’un ou l’autre chant traditionnel utilisé dans Visage ou Coro, Berio rend peu à peu explicite cette référence à la judéité traditionnelle ou contemporaine : titres en hébreu, références à des épisodes bibliques (Ezekiel dans Ofanim, la chute de Jéricho ou encore l’épisode de la tour de Babel dans Cronaca del Luogo), musiques traditionnelles enregistrées ou transcrites, mais aussi mise en musique de la poésie de Paul Celan (Shofar, Outis,Cronaca del Luogo, Stanze) allusions à la Shoah (Outis), inclusion des différents types de sonneries de shofar comme matériau musical (Shofar, Outis), ou encore la mise en œuvre d’un rapport étroit entre certains aspects traditionnels et les recherches technologiques du compositeur au studio Tempo Reale (Ofanim et la spatialisation, Cronaca del Luogo et la détection de mouvements), citation de l’hymne national israélien (Sequenza X, Kol od)… L’importance croissante de la judéité dans l’œuvre de Berio permet d’enrichir les réseaux de sens (sens en tant que signification, mais aussi direction / chemin) que le compositeur entreprend au sein d’une œuvre (notamment dans le cas des actions musicales) et entre plusieurs œuvres (par exemple avec la récurrence du shofar). Mais la judéité permet également de créer des réseaux avec d’autres références chères à Berio, comme Ulysse (Outis et le poème Die Niemandsrose de Paul Celan sur la notion de personne / Personne) ou la poésie de Joyce, dont il retrouve des aspects prégnants dans celle de Celan. Ma communication vise à montrer comment cette judéité va se manifester dans l’œuvre de Berio, à travers divers angles d’attaque : les titres des œuvres, le traitement des matériaux musicaux (par exemple les sonneries de shofar), la mise en musique et confrontation de la poésie de Celan ou de fragments bibliques avec d’autres matériaux poético-musicaux, le caractère particulièrement composite des livrets des actions scéniques Outis et Cronaca del Luogo émaillés de nombreuses références et commentaires, sans oublier les correspondances avec des technologies révolutionnaires à l’époque de leur mise en œuvre. Comme au temps de sa collaboration avec sa première épouse Cathy Berberian au sein du studio de la RAI à Milan, la culture juive suscite chez Berio de nombreuses et riches expérimentations, vocales, musicales, technologiques. Pour autant, il ne faut pas y voir une apologie de la culture juive. Berio n’est pas juif, il ne s’est pas converti non plus, il est athée. Comme toujours, le compositeur pratique le processus de distanciation, de commentaire, du regard critique. La culture juive est soit commentée, soit peut commenter, selon la place à laquelle on se situe dans le réseau des références du compositeur. Boucourechliev musicologue : une œuvre atypique ?« Explorer le phénomène musical de l’intérieur » : tel est l’axe qui a guidé André Boucourechliev dans ses écrits musicologiques sur Schumann (1956), Beethoven (1963), Stravinsky (1982), dans Essai sur Beethoven (1991), Regards sur Chopin (1996) et Debussy, la révolution subtile (1998), comme dans les articles regroupés dans Dire la musique(1995) et ses commentaires de L’Anneau des Nibelung dans l’Avant-Scène Opéra. Ils sont indissociables de son travail de compositeur. Boucourechliev met en effet à jour des dimensions qui relèvent de la musique contemporaine dans l’œuvre de ses prédécesseurs. Le Langage musical (1993) les synthétise et donne des repères pour comprendre l’évolution de la musique occidentale savante. La vision des œuvres du passé de Boucourechliev est totalement nouvelle. S’agit-il pourtant de travaux qui relèvent pleinement de la musicologie ? La question se pose tant sa démarche relève également de l’essai, y compris dans ses analyses musicales. Comment sa pensée de compositeur guide-t-elle ses écrits ? Par ailleurs, dans la lignée de Boris de Schlœzer et d’André Souris, Boucourechliev ne s’intéresse, dans ces écrits, ni à la signification musicale ni aux dimensions sociales de la musique. On peut se demander quelle place y tient l’interprète, abordé dans ses articles de la revue Preuves. On peut aussi s’interroger sur la portée de cette démarche, dont nous avons bénéficié lors de ses enseignements au Département de musique de l’université de Provence, de 1977 à 1984 : les travaux de Boucourechliev annoncent-ils une musicologie nouvelle ou resteront-ils atypiques et périphériques ? Le catalogue de sons synthétisés par ordinateur de J.-C. Risset : une interface pédagogiqueLe Catalogue de sons synthétisés par ordinateur de Jean-Claude Risset, paru en 1969 et sous-tendu de part en part par une visée pédagogique, se présente sous un format hybride. Il est constitué d’une part d’un disque noir compilant des extraits audio de sons synthétiques, et d’autre part d’une description textuelle de la structure physique de chaque son, assortie parfois d’un schéma modulaire d’instrument virtuel ou d’un fragment de partition renfermant l’information mélodique, ainsi que du code informatique utilisé pour programmer chacun des extraits. L’enjeu de la communication est de saisir, par le biais de cet objet hybride, l’interaction si particulière entre art, science et technologie dans le travail de Risset et plus largement dans le domaine de la synthèse numérique du son. Le Catalogue est analysé d’abord comme un guide technique, répondant à la triple fonction de tutoriel, de méthode instrumentale et de manuel de lutherie virtuelle. Ensuite, il convient de l’envisager comme un recueil scientifique à part entière, compilant des résultats de cette « nouvelle acoustique » qui a émergé grâce à l’ordinateur ; en outre, il met en œuvre une expérience de psychoacoustique à destination de l’auditeur-lecteur, en l’invitant à faire le lien entre les paramètres physiques du son et les données de la perception. La comparaison du Catalogue avec la Micrographia de Robert Hooke permet à la fois de mesurer l’ampleur de la « révolution épistémologique » (Dufourt) engagée par l’informatique musicale, modifiant l’échelle temporelle d’observation, et de faire le lien avec les données proprement esthétiques et musicales. En effet, le Catalogue se comprend à la lumière d’autres objets issus de la tradition musicale et musicologique : cycle de fragments, répertoire compositionnel, solfège. Enfin, il se veut une véritable utopie sonore, qui part de la sensorialité écologique mais la fait jouer à vide voire contre elle-même, comme dans ces illusions auditives qui jalonnent le Catalogue. Poétiques de l’articulation : formes et processus dans le film de danse de Thierry De MeyFruit d’un échange intermédial, le film de danse contemporain constitue un terrain d’exploration privilégié des relations entre son, image et mouvement. Celles-ci n’y relèvent plus de configurations fixes ou hiérarchisées, mais s’inscrivent dans des dynamiques croisées, où chaque registre expressif participe à la construction du sens partagé, selon une logique multimodale (Kress et Van Leeuwen). Dans cette perspective, l’œuvre du compositeur et cinéaste Thierry De Mey constitue un corpus particulièrement pertinent pour interroger la diversité des articulations entre ces trois dimensions. Ses créations — Rosas danst Rosas, Counter Phrases, Tippeke, One Flat Thing, reproduced — expérimentent différentes possibilités de faire dialoguer les langages artistiques et donnent lieu à des structures syncrétiques (Chion), traversées par des notions fondamentales telles que la présence, la temporalité et la forme. En mobilisant des concepts issus de cadres théoriques variés — tels que l’affordance (Gibson), les matériaux-forces (Deleuze), la transmission kinesthésique (Berthoz), le dispositif (Foucault) ou encore la déterritorialisation (Deleuze et Guattari) —, cette communication visera à éclairer la manière dont le film de danse engage aujourd’hui une redéfinition des catégories esthétiques, analytiques et perceptives, au sein du processus de composition musicale et multimodale. The New Musical Writings for Cinema: History, Sources and Compositional PracticesUntil the end of the 20th century, film music was studied mainly from an aesthetic and narratological perspective. The interaction between soundtrack and moving images has also been investigated with the aim of understanding the role of music in the audiovisual dramaturgy of the film medium. Since the early 2000s, scholarly literature has increasingly focused on the creative process of music for film, which in most cases has been reconstructed through the study of preliminary materials stored in composers' personal archives. This research has focused on the soundtracks of the decades between the 1930s and the 1980s, where the writing took place predominantly on paper. The transition from paper to computer tools has led to a substantial increase in the lability of sources, which rarely keep track of the various stages of genesis and are subject to the risk of rapid obsolescence. The study of the creative process of new music writing for film requires appropriate methodologies capable of investigating how and to what extent the development of increasingly advanced technologies may have influenced compositional paradigms. It is also of great interest to uncover the way in which the composition process can be documented and depicted. Within this panel, we will present a computer model for the representation of the relationships between sources aimed at the restitution and study of the creative process in which the different phases of the setting up of a soundtrack can be deduced. It will highlight the complexity of the different production phases by investigating the philological problems arising from the complex relationships established between different forms of fixation of the musical memory (written, audio, video). From this model, it will be possible to visualise all the 'documents' that contribute to the creation of the film soundtrack and, above all, their relationships that arise from time to time. Such a tool also proves to be of great use in teaching.
L’usage de la musique dans le cinéma tunisienLe cinéma a vu le jour grâce à l'invention du cinématographe, mis au point par les deux frères français Auguste et Louis Lumière en 1895. Cette date constitue véritablement la naissance du septième art, dans la mesure où cette machine a permis de développer l’ensemble des potentialités techniques liées à l’art cinématographique, notamment celles de la prise de vue et de la mise en scène, deux piliers fondamentaux qui n’ont cessé d’évoluer au gré des expériences cinématographiques, de la diversité des contextes culturels et de la richesse de l’imaginaire créatif à travers le monde. Quant au cinéma tunisien, il a connu son véritable essor avec la production du premier long métrage tunisien, "Al-Fajr" (L’Aube), réalisé en 1966. Ce film a marqué un tournant décisif, symbolisant l’intégration du cinéma dans le paysage culturel tunisien en tant que discours artistique et identitaire à part entière. Dès ses débuts, la musique de film dans le cinéma tunisien ne s’est pas limitée à un rôle ornemental ou esthétique ; elle a rapidement pris une dimension fonctionnelle et dramatique, soutenant la dynamique narrative et enrichissant les niveaux symboliques et sémantiques que le réalisateur cherchait à véhiculer. La musique tunisienne, riche par sa diversité stylistique ainsi que par complexité rythmique et modale, a su s’adapter aux exigences formelles du cinéma. Elle s’y est intégrée comme un vecteur expressif essentiel, capable de transcender l’image visuelle en lui conférant une profondeur culturelle qui renvoie à l’identité locale et au patrimoine immatériel tunisien. De nombreux cinéastes tunisiens ont ainsi saisi l’importance d’établir une correspondance organique entre l’univers visuel du film et l’âme sonore de la musique traditionnelle tunisienne, laquelle s’accorde harmonieusement avec les ambiances populaires, les cadres patrimoniaux et les contextes narratifs dans lesquels évoluent les personnages et les intrigues. Le film" Ya Sultan El Medina" (Le Sultan de la Médina, 1992) de Moncef Dhouib, avec une musique composée par Hammadi Ben Othman, constitue à ce titre un exemple particulièrement éclairant. Mais comment, dans ce film précis, la musique contribue-t-elle à enrichir le sens narratif et symbolique de l’image cinématographique, tout en s’ancrant dans une esthétique proprement tunisienne ? Alaben voisen : une “chanson turque” à Avignon (ca. 1630–1650)Dans un manuscrit d’airs pour guitare copié à Avignon au XVIIe siècle, rempli de chansons en langues européennes, le lecteur tombe sur une pièce intitulée « Chanson turque ». Le texte est copié phonétiquement par un(e) francophone et les accords sont en alfabeto, un système de notation italien pour guitare à cinq chœurs. La présence de cet air dans un recueil appartenant à une femme et compilé dans une enclave papale au sud de la France est très significative. Les musicologues ont récemment démontré le rôle des voyageurs, des envois diplomatiques et des villes portuaires dans les échanges musicaux franco-ottomans. Cet article contribue à ce corpus croissant de recherches visant à inclure la France dans l'histoire méditerranéenne et à reconnaître le plurilinguisme comme une composante intrinsèque des expériences musicales de la modernité. La « Chanson turque » suggère que les airs ottomans résonnaient au-delà des espaces portuaires et parisiens, atteignant des pratiques privées. J'examinerai les voies par lesquelles une chanson turque a pu parvenir à Avignon et ses contextes d’interprétation. Je m'interroge sur ce que signifie, pour une femme française de l'élite, de chanter en turc aux côtés de répertoires européens de cour, mais aussi de chants explicitement érotiques en occitan. Qu'est-ce que cela révèle sur la mobilité transnationale, la perméabilité entre espaces publics et privés, et les choix musicaux personnels ? L'utilisation de la guitare à cinq chœurs est aussi remarquable car cet instrument a souvent servi de véhicule aux répertoires européens transnationaux, de « traducteur » de musiques étrangères aux Européens et de marqueur d'altérité en France. La « Chanson turque » n’est qu’une trace partielle de sons et de voix perdus, à la fois français et ottomans, mais elle ouvre une fenêtre sur un monde musical connecté et plurilingue dans la France moderne. La cantate à Modène sous François II d’Este (1660–1694) : Premiers fondements pour la redécouverte d’un répertoire oubliéLa cantate fut l’un des genres les plus populaires et les plus largement diffusés de la période baroque, avec pour centre principal la ville de Rome, grâce à de grands maîtres comme Luigi Rossi, Alessandro Scarlatti ou encore Alessandro Stradella. Toutefois, d’autres centres italiens connurent également un développement significatif du genre : c’est le cas de Modène, sous le règne de François II d’Este (1660–1694), aujourd’hui étonnamment négligée. Pendant son règne, le duc se distingua comme l’un des mécènes musicaux les plus raffinés d’Italie, soutenant une intense activité musicale. Pourtant, le corpus de cantates lié à sa cour demeure inexploré, malgré la conservation d’environ cent manuscrits à la Biblioteca Estense Universitaria de Modène. Dans cette intervention, je présenterai les premiers résultats d’une recherche en cours visant à portant sur le répertoire de cantates mécénées par François II d’Este. Après avoir exposé les différentes typologies de cantates, je présenterai quelques-uns des principaux compositeurs impliqués, parmi lesquels Antonio Gianettini, maître de chapelle du duc, Giovanni Battista Vitali, sous-maître, Domenico Gabrielli, violoncelliste virtuose au service de la chapelle en 1689, ainsi qu’Alessandro Melani, compositeur romain qui était particulièrement apprécié par le duc. Je mettrai en lumière les défis posés par l’étude d’un répertoire encore méconnu, en croisant différentes typologies de sources manuscrites et archivistiques inédites : lettres de compositeurs et musiciens, catalogues, livres de paiements, reçus et registres de la cour. Cette approche permettra de proposer une méthodologie de recherche fondée sur l’analyse approfondie et la comparaison critique de la documentation archivistique, afin de faire émerger les réseaux, les contacts et les modalités de transmission de ce répertoire, ainsi que ses interprètes. Enfin, je soulignerai les perspectives de recherche à venir, ainsi que les méthodologies complémentaires qui permettront d’autres dimensions liés à la cantate et au mécénat de ce genre sous François II d’Este. A Cosmopolitan Migrant: The Career and Travels of Georg Noëlli and his Pantaleon-CymbalThe career of Georg Noëlli (1727-1789), a migrating virtuoso of Jewish origin, is an intriguing example of success and celebrity in the 18th century. His musical education and subsequent professional activities led him across the continent and are retraceable through multiple sources: archival documents, historical press, musical scores and iconography. These sources also shed light on his various musical and social environments, his career engagements, his instrument(s) and musical practice. The revival of the Pantaleon-cymbal, a very large and rare type of the hammered dulcimer that disappeared with Noëlli’s death, is a major consideration of this investigation. Noëlli’s association with circles of the Enlightenment, with networks of virtuosos and with the Portuguese Jewish Nation (Nação) will be discussed in this presentation as a key element in understanding his success and that of his lost instrument. De Institutione Musica de Boèce dans une traduction castillane du XVe siècleRéférence théorique incontournable à l’époque médiévale et pendant la Renaissance, le De Institutione musica de Boèce a amplement circulé en Europe grâce à des nombreuses copies et à un large corpus de gloses. Héritier d’un savoir gréco-romain en voie de disparition, la diffusion de ce texte fondamental s’est effectuée à partir d’une source latine incomplète dont la lecture a alimenté le cursus studiorum de la plupart des universités européennes et les contenus de la plupart des traités théoriques sur la musique depuis le Moyen-Âge et (presque) jusqu’à la fin de l’ancien régime. De ce traité nous ne connaissions que deux traductions « historiques » en italien datant de la fin du XVIe siècle, avant les premières traductions « scientifiques » du XIXe siècle, dont la version auctoritas de Friedman, qui date de 1867. Notre communication présentera la première traduction en langue vernaculaire (castillan) de ce traité, que nous datons vers la première moitié du XVe siècle, et explorera l’origine de cette source ibérique inédite et encore très peu connue des chercheurs. Nous nous interrogerons à la fois sur les motivations ayant donné naissance à cette traduction et sur ses éventuels lecteurs, tout en parcourant enfin les spécificités musicologiques et linguistiques de cette source. Apprendre en s’amusant au XVI e siècle ? Les canons musicaux et leurs annotations dans le traité Ad musicam practicam introductioDécrit dès la fin du xve siècle dans la littérature théorique, le procédé du canon musical prend une place croissante dans les textes du siècle suivant, et notamment les manuels imprimés allemands de musica practica à partir des années 1530. Au sein de ces traités, les exemples notés sous forme de canon connaissent une inflation spectaculaire. Offrant autant d’exemples et d’exercices propres à solliciter différentes compétences – capacité à reproduire une mélodie chantée, maîtrise du système des proportions, habileté à transposer une mélodie donnée…, ces canons témoignent d’un pan entier des pratiques de pédagogie musicale propres au xvie siècle. Le recours à des canons célèbres ou remarquables, attribués à des compositeurs prestigieux des générations précédentes (Josquin Desprez, Jacob Obrecht, Pierre de La Rue…), donne en outre aux jeunes élèves des modèles d’ingéniosité notationnelle et compositionnelle. Issu des répertoires les plus savants des xve et xvie siècles, le canon devient dès lors un procédé ludique, interactif et stimulant pour les pueri, combinant des vertus pédagogiques multiples, dont le succès ne se démentira pas jusqu’au xviie siècle. Se concentrant sur le traité Ad musicam practicam introductio d’Heinrich Faber, l’un des manuels ayant connu le plus large succès à cette époque, dont l’exemplaire conservé à la Staatsbibliothek de Berlin contient de fascinantes annotations manuscrites témoignant de la réception des canons, cette communication proposera un aperçu des différents types de canons qui y sont attestés, en examinant notamment leurs caractéristiques et leurs usages, ainsi que les propositions, éclaircissements ou ajouts de l’annotateur, afin de mieux comprendre le succès soudain de cette technique dans la pédagogie musicale du temps. Les madrigaux italiens « mis en tablature » au XVI e siècle« Pour nos oreilles musicalement cultivées – mais cette culture n’est pas innocente, et il faudra en corriger la perception), le premier caractère qui affecte globalement la chanson du xvie siècle est un “sound” essentiellement vocal. » (Jean-Pierre Ouvrard, La chanson polyphonique française du xvie siècle, Centre de Musique Ancienne, Tours, 1997, p. 1)
Ces propos de Jean-Pierre Ouvrard rappellent combien le répertoire de la Renaissance a été associé, dans l’imaginaire musical collectif, au répertoire polyphonique vocal. De fait, les études portant sur la musique de la Renaissance ont longtemps opposé les genres vocaux (madrigaux, chansons, motets), et les genres instrumentaux (fantaisies, ricercari, danses). Pourtant, les travaux Howard Mayer Brown, Jean-Michel Vaccaro, et John Griffiths notamment ont démontré que le répertoire dit vocal était en réalité souvent interprété par les instrumentistes. Du reste, une très large part des partitions destinées au luth sont en fait des « mises en tablatures » (c’est-à-dire, des arrangements ou des réductions) d’œuvres issues du répertoire polyphonique vocal. Ces tablatures contiennent souvent des traces d’improvisation, d’ornementation, ou de d’adaptation de la polyphonie, traces qui sont généralement absentes des partitions vocales originales. Par les variantes que présentent ces sources, elles livrent un témoignage de la façon dont ce répertoire était exécuté, adapté, mais aussi de la façon dont il était entendu et pensé. En nous appuyant sur un corpus de madrigaux mis en tablature de luth au xvie siècle (madrigaux de C. de Rore, J. Arcardelt, A. Gardane, arrangés pour le luth par, G. Abondante, E. Adriaenssen, F. da Milano, J.P. Paladin, P. Phalèse, etc.), nous nous intéresserons aux principes d’adaptation instrumentale des madrigaux et tenterons d’identifier des gestes d’improvisation et d’ornementation. Enfin, nous en tirerons des enseignements pour l’interprétation de ce répertoire aujourd’hui. Jean-Claude Risset et Marseille : sources, trajectoires et tropismes de l’art-science-technologieSi le projet RAMHO (Recherche et Acoustique Musicales en France : une Histoire Orale) doit largement son existence à la disparition prématurée de Jean-Claude Risset, il est paradoxal de constater que les conditions concrètes de sa recherche musicale et scientifique, tant au sein du LMA qu'à son domicile marseillais, ne sont que très peu documentées. On s’attachera ici à croiser les témoignages des acteurs ayant côtoyé et travaillé avec Jean-Claude Risset, notamment à travers une cinquantaine d’entretiens réalisés dans le cadre du projet RAMHO, les témoignages de ses enfants Solenn et Tanguy recueillis en septembre 2022, ainsi que les archives papier encore disponibles au sein du laboratoire PRISM (UMR 7061 – Aix-Marseille Université, CNRS), aujourd’hui quasi intégralement numérisées. On s’efforcera de décrire comment Marseille fut à la fois une boussole familiale — lieu de l’activité compositionnelle régulière (complémentaire de Bénodet, en Bretagne, durant l’été) — et un pôle d’exigence scientifique au sein du campus Aiguier. Si la reconnaissance institutionnelle accordée par le CNRS à Jean-Claude Risset (médaille d’or 1999) s’inscrit dans un contexte international — Risset étant l’un des cofondateurs de la discipline dite computer music —, elle ne doit pas occulter le rôle central de Marseille comme épicentre d’une activité AST (Arts, science, technologie) spécifique, portée par ses propres institutions (Conservatoire de Marseille, GMEM, MIM, LMA) et ses réalisations originales : les musiques avec Synclavier développées par Michel Redolfi, ami proche de Risset, la synthèse par ondelettes, les travaux sur Music V et son implémentation sur PC, ou encore la recherche-création autour du Disklavier Yamaha. Le rapport AST et le discours de réception de la médaille d’or (1999) constitueront des contrepoints indispensables aux publications académiques, dont plusieurs sont aujourd’hui réunies chez Hermann. Risset écologue : une approche fonctionnaliste de la synthèse numériqueL’esthétique de Risset se caractérise par des notions telles que l’illusion, l’apparence, la déformation et l’erreur perceptive : en jouant sur nos sens, il est possible de mieux comprendre leur fonctionnement. Cette démarche de recherche s’accompagne de l’inquiétude et du désir musical du compositeur. En effet, cette esthétique, tributaire des sciences, résonne avec les « poétiques de l’erreur » de Luigi Nono et de Kim Cascone[^1]. Or, si l’ordinateur génère tout son, cela doit se faire en respectant des limites psychoacoustiques qui sont également des contraintes pour Risset en matière de composition musicale. Pour concevoir des sons électroniques, il faut « comprendre à quoi tient la vie, la richesse et l’identité d’un son instrumental »[^2] ; la musique « n’est pas une forme abstraite, elle n’existe que par son incarnation dans le temps et dans le son […] »[^3]. Dans les textes de Risset émerge une perspective « fonctionnaliste ou écologique […] revue à la lumière des apports de la psychologie cognitive et de la synthèse des sons par ordinateur »[^4]. Cela fonde une poétique : l’artiste doit « aider à faire émerger des constructions sonores susceptibles de renouveler, recréer ou raviver les mythes dans une nouvelle perspective, communiquer une vision du monde »[^5].
Ne serait-ce pas Risset, le compositeur de la vie et des sons synthétiques à la fois, qui conçoit l’expérience musicale comme une transformation, en étroite relation avec l’environnement et la politique ? Ses illusions acoustiques viseraient-elles à nous offrir une perception renouvelée du monde, susceptible de transformer notre compréhension même de la réalité ? Sa poétique est-elle révolutionnaire ? Je chercherai, dans cette présentation, à mettre en évidence les traits caractéristiques de sa poétique. En abordant des compositeurs contemporains qui partagent des similitudes esthétiques (comme François Bayle et Fausto Romitelli), je mentionnerai des œuvres telles qu’Aventure de lignes (1981), créée pour l’ensemble d’instruments électroniques de l’Itinéraire, et Songes (1979), pour bande, pour appuyer mes propos. [^1]: Kim Cascone, « The Aesthetics of Failure: Post-Digital Tendencies in Contemporary Computer Music », Computer Music Journal 24, no 4 (2000) : 12-18. [^2]: Jean-Claude Risset, « Timbre et synthèse des sons (1985-1988-1991) », in Écrits. Timbre, perception, virtualité. Le compositeur face à la recherche (Hermann, 2020), 3:129. [^3]: Risset, « Timbre et synthèse des sons (1985-1988-1991) », 121. [^4]: Jean-Claude Risset, « Le timbre et la musique », in Écrits. Composer le son. Repères d’une exploration du monde sonore numérique., éd. par Olivier Class et Màrta Grabòcz (Hermann, 2014), 1:148. [^5]: Jean-Claude Risset, « Musique, recherche, théorie, espace, chaos (1991) », in Écrits. Timbre, perception, virtualité. Le compositeur face à la recherche (Hermann, 2020), 3:489. « Composer le son » selon Jean-Claude Risset : quelle pertinence à l’ère de l’IA ?Jean-Claude Risset définissait la notion de « composer le son[1] » comme un acte de description, « paramètre par paramètre[2] », permettant au compositeur d’être « à la source même du son [et de] le modifier de façon intime[3] ». La notion s’opposait alors à celle du traitement sonore, où l’on opère sur le son « des changements de façon plus globale[4]». En ce premier quart du xxie siècle, « l’âge numérique » musical[5] est marqué par une période de forte démocratisation de l’intelligence artificielle (IA). Si les outils audionumériques actuels brouillent déjà les frontières entre synthèse et traitement sonores, en quoi l’intégration de l’IA dans les processus compositionnels remet-elle aussi en cause la pertinence de la notion rissetienne de « composer le son lui-même » ? Les méthodes d’IA employées en composition se basent en effet sur des calculs probabilistes – c’est-à-dire sur l’analyse statistique de patterns – pour transformer et/ou générer, par inférence, du matériau musical. Les réseaux de neurones artificiels permettent par exemple d’établir des correspondances « n-vers-m », où un nombre quelconque de paramètres d’entrée peut générer un nombre différent de paramètres de sortie. Ces algorithmes non-linéaires, dynamiques et parallèles[6] s’intègrent aujourd’hui facilement à des interfaces qui « suscitent un lien direct entre les modalités de manipulation et leur retour sensoriel[7] » inédit. Dès lors, l’IA intégrée aux outils audionumériques actuels permet une hybridation entre les processus de synthèse et de traitement sonores. Par ailleurs, l’adaptabilité et l’opacité de ces algorithmes confèrent aux systèmes dans lesquels ils s’intègrent une contingence paramétrable par le compositeur, suggérant chez la machine des comportements indéterministes qui relevaient auparavant exclusivement du domaine de l’interprétation humaine[8]. [1] Risset, Jean-Claude, « Composer le son : expériences avec l’ordinateur , 1964-1989 », Contrechamps n° 11, « Musiques électroniques, 1990, p. 107-126. [2] Risset, Jean-Claude, « Ordinateur et création musicale », Arts et sciences : de la créativité. Paris, Plon, 1971, p. 269-288. [3] Risset, Jean-Claude, « Évolution des outils de création sonore », dans Vinet, Hugues et Delalande, François, Interfaces homme-machine et création musicale. Paris, Hermès, 1999, p. 28. [4] Idem. [5] Risset, Jean-Claude, « Max Mathews et l’âge numérique », dans Portraits polychromes, n° 11 : « Max Mathews », Paris, INA-GRM, 2007, p. 27-60. [6] Toiviainen, Petri, « Symbolic AI versus Connectionism in Music Research », dans Miranda, Eduardo R., (éd.), Readings in Music and Artificial Intelligence. Amsterdam, Harwood Academic Publishers, 2000, p. 47-68. [7] Vinet, Hugues, « Introduction », dans Vinet, Hugues et Delalande, François, Interfaces homme-machine et création musicale. Paris, Hermès, 1999, p. 9. [8] Voir Manoury, Philippe, « Considérations (toujours actuelle) sur l’état de la musique en temps réel », site internet du compositeur, [En ligne], URL : https://www.philippemanoury.org/considerations-toujours-actuelles-sur-l%e2%80%99etat-de-la-musique-en-temps-reel/ , consulté le 15 avril 2024. Le fonds Lux pour la musiqueLa bibliothèque Luigi Chiarini de la Fondation Centro Sperimentale di Cinematografia, sise à Rome, abrite une collection remarquable: une collection de manuscrits de copistes, totalisant environ 10.000 pièces, relatifs à vingt-huit partitions originales de films. Il convient de noter que la majorité de ces documents ne contiennent que les parties orchestrales. L'origine précise de ce fonds demeure incertaine, mais l'ensemble des films concernés sont issus de Lux Film, l'une des maisons de production italiennes les plus influentes de l'après-guerre. Ces œuvres sont datées des années 1940. Parmi les compositeurs, nous pouvons citer des noms illustres tels que Petrassi, Pizzetti ou Tommasini, principalement reconnus pour leurs compositions symphoniques et lyriques. Cependant, il est important de noter que certains musiciens, tels que Cicognini, Labroca, Masetti ou Rosati, sont davantage associés au cinéma. En effet, le corpus se distingue par une proportion significative de partitions de Nino Rota, avant qu'il ne commence sa collaboration avec Fellini. Cette place accordée à la musique trouve son origine dans la figure de Guido M. Gatti, critique musical de renom, qui occupait alors la direction générale de Lux Film. En s'appuyant sur un corpus de documents musicaux exclusivement composés de bandes originales de films produits par cette société de production, qui représente un cas unique dans le panorama italien des collections de musique de film, ce rapport a pour objectif de mettre en évidence les principaux aspects musicaux de la production de Lux dans les années 1940, ainsi que de considérer les aspects spécifiques qui ont émergé de la consultation de ce matériel. Ces aspects comprennent des réflexions sur le processus de production, les différentes consistances des ensembles orchestraux et les choix spécifiques de timbres effectués par les compositeurs. En outre, ces éléments concernent les diverses caractéristiques matérielles ainsi que les modifications apportées en studio d'enregistrement. Teatro Rosso de Steven Takasugi et Huei Lin. De l’impact de l’image sur la perception du sonCréée en 2025 par le collectif montréalais NO HAY BANDA, Il Teatro Rosso est une œuvre multimédia (ensemble instrumental amplifié, sons fixés et vidéo) résultant d’une collaboration entre deux artistes états-uniens : le compositeur Steven Takasugi et le réalisateur Huei Lin. Dans son travail, Takasugi s’intéresse tout particulièrement à la relation entre les médias fixés et le vivant dans une relation ambiguë de double évoquant le ventriloquisme et qui amène à poser la question de « qui fait quoi » (source : site web du compositeur). Lin, quant à lui, « est reconnu pour combiner l’abstrait et le déconstruit ; ses images sont souvent élaborées à partir de scènes de rues, de fragments de faisceaux lumineux et de l’expression crue de ses sujets » (source : site web du réalisateur). Les deux créateurs ont en commun un intérêt pour l’abstraction, la confusion, le floutage des genres et frontières ainsi qu’un penchant certain pour les esthétiques rétro et kitsch. L’œuvre étant très récente, aucune analyse n’en a été réalisée à ce jour et nous souhaitons, dans le cadre de cette communication, poser une première pierre à l’édifice en en proposant une lecture axée sur les rapports entre le son et l’image. En nous attardant à l’aspect rythmique de l’image (mouvements physiques des musiciens, changements de plan, mouvements de caméra, etc.) et aux différentes atmosphères suggérées par différents lieux, costumes et prises de vue, nous réaliserons une transcription de la couche visuelle, que nous pourrons ensuite mettre en relation avec la couche sonore constituée de la partie instrumentale et de la bande. Ainsi, nous serons en mesure d’analyser le contrepoint formé par la rencontre des deux médiums, ce qui offrira une base concrète permettant de réfléchir sur l’impact de l’image sur la perception du son, notion qui a été au cœur des préoccupations de bon nombre de compositeurs de la seconde moitié du 20e siècle et du début du 21e (Stockhausen, Grisey, Risset) et avec laquelle Takasugi joue en tentant de la brouiller, de la déjouer. En août 2025, lors des Darmstädter Ferienkurse (Darmstadt, Allemagne), une première étape de travail sera réalisée et fera l’objet d’une première intervention en présence du compositeur. Paul Misraki et la fabrique de la musique de film : la plateforme numérique au service de l’étude des pratiques de créations musicales pour le cinémaPaul Misraki compte incontestablement parmi les compositeurs les plus prolifiques du XXe siècle, avec un catalogue impressionnant de près de 750 opus, environ 350 chansons et quelque 180 musiques de films. Le fonds d’archives qu’il laisse – partitions manuscrites, bandes magnétiques, disques acétates, maquettes, prises alternatives – constitue un corpus d’une richesse rare pour interroger les mécanismes de création à l’œuvre dans la musique de film. Dès l’ouverture d’un manuscrit, le chercheur est frappé par l’écriture précise, ciselée et remarquablement lisible du compositeur. , 794 titres sont déposés à la SACEM, mais les traces sonores de cette production restent largement lacunaires. Très peu d’enregistrements sont aujourd’hui consultables à la BnF – quelques 78 tours non numérisés – et le dépôt légal pour la musique enregistrée ne s’instaure véritablement qu’à partir des années 1950. La mémoire de cette production repose ainsi en grande partie sur des initiatives privées : collectionneurs, ayants droit, ou descendants des artistes. Loin de l’image figée d’une bande-son achevée, ces documents donnent accès à la musique en devenir, dans ses tâtonnements, ses ajustements, ses bifurcations. Lancé en 2021, le projet Plateforme Misraki (UMR IDEAS / UMR PRISM, Université de Nantes, SATT Sud-Est, DRAC PACA, CNSMDP) a permis la sauvegarde et la numérisation de ce fonds précieux. Il offre une opportunité rare de reconsidérer la musique de film comme un processus, et non comme une forme close. Les vidéoclips opératiques : enjeux d’une médiation culturelle numériqueDepuis une quinzaine d’années, on assiste à l’essor dans le cyberespace d’un type de dispositif particulier : les « vidéoclips opératiques ». Largement diffusés sur des plateformes telles que YouTube, ces dispositifs semblent allier certaines des particularités formelles et esthétiques qui ont jalonné l’histoire du vidéoclip avec l’univers de l’opéra : il s’agit d’œuvres audiovisuelles courtes dans lesquelles les images sont associées à un air, un duo ou une chanson célèbre du répertoire lyrique, qu’elles cherchent à illustrer[1]. Principalement encouragés par de grandes maisons de disques, telles que Deutsche Grammophon et Warner Classics (ainsi que par certaines maisons d’opéra[2]), ces dispositifs, semblent avoir un double objectif : promouvoir les artistes qui les interprètent (ou l’activité d’un maison d’opéra) et rapprocher le répertoire lyrique d’un nouveau public. Si le premier objectif est évident au vu de la manière dont ces vidéos sont présentées sur le web, le second nécessite une analyse plus approfondie de leurs caractéristiques morphologiques et esthétiques. Pour ce faire, nous nous appuierons sur des travaux antérieurs consacrés aux particularités du vidéoclip (Antoine Gaudin, Carol Vernallis, Marc Kaiser). Comme le soulignent ces auteurs, « l’esthétique du clip vidéo s’est répandue à presque toutes les formes audiovisuelles[3] » et le format semble démontrer une capacité à s’adapter aux nouveaux modes de consommation de contenus culturels à partir des réseaux sociaux (en s’adressant principalement à un public jeune). Ces enjeux se trouvent au cœur de la création de ces dispositifs. Il convient de considérer les « vidéoclips opératiques » comme l'aboutissement récent d'un processus plus large : celui de la rencontre entre opéra et technologie numérique, sujet central de nombreux travaux musicologiques et philosophiques (Nicolò Palazzetti, Michel Veilleux, Christopher Morris, Emanuele Senici). En nous appuyant sur ces recherches, nous délimiterons notre objet d'étude et justifierons sa pertinence académique. L'analyse audiovisuelle de ces dispositifs permettra de mettre en lumière leurs particularités formelles et esthétiques. Parallèlement, l'étude des commentaires laissés par les viewers révélera les répercussions concrètes de cette médiation culturelle. Notre question centrale sera la suivante : comment ces dispositifs articulent-ils l'univers de l'opéra avec l'esthétique contemporaine du vidéoclip, et dans quelle mesure cette hybridation parviendrait-elle à démocratiser l'accès au répertoire lyrique ? [1] Voici deux exemples concrets pour illustrer notre propos: Netrebko, Anna, Catalani: La Wally: « Ebben? Ne andro lontana », Act 1, châine YouTube : Deutsche Grammophon – DG, 2 septembre 2016, https://www.youtube.com/watch?v=9unXavaZwMU&list=PLHFJqErcFdSmXa4-3MlY_zuNsEYNG5-oY&index=20, consulté le 31 janvier 2024 ; Orliński, Jakub Józef, Händel: « Pena tiranna » (Amadigi di Gaula), châine YouTube : Warner Classics, 8 novembre 2019, https://www.youtube.com/watch?v=ZMW7M3ebRwk&list=PLHFJqErcFdSmXa4-3MlY_zuNsEYNG5-oY&index=1, consulté le 31 janvier 2024. [2] Nous faisons référence, par exemple, à certaines vidéos qui sont apparues dans le cadre du projet « 3ème Scène », de l'Opéra National de Paris. [3] Vernallis 2018, p. 55 L’éclosion de l’opéra égyptien : politique culturelle pré- et post-nassérienneL’histoire de l’opéra égyptien est intimement entrelacée avec l’évolution culturelle et les tu- multes politiques du pays, et ses œuvres sont conçues dans ces contextes culturels et politiques mouvementés. Le premier opéra égyptien, Maṣra‘ Antonio (1945-1947) de Hassan Rashid (1896-1969), est composé dans un contexte capitaliste moderniste, sous la monarchie et la co- lonisation britannique. Après la révolution de 1952, une nouvelle ère culturelle s’instaure dans le cadre du socialisme moderniste sous le régime de Gamal Abdel Nasser (1918-1970). Grâce aux politiques culturelles et aux initiatives du ministre de la Culture Tharwat Okasha (1921- 2012), cette période est marquée par la composition de Ḥassan el-Baṣrī (1956) de Kamel El- Remali (1922-2011) et Anas el-Wogood (1970) de Aziz El-Shawan (1916-1993). Plus tard, dans les années 1990, l’intérêt pour l’opéra égyptien a connu une croissance notable malgré les con- troverses, marquant ainsi une forme de nahḍa, [Renaissance] à travers les représentations et la création de Maṣra‘ Cliopatra (1994) de Sayed Awad. À cette époque, Nāsser Al-Anṣārī diri- geait l’Opéra du Caire de (1991-1997), jouant un rôle crucial dans le développement et la pro- motion de cet art. Ce mouvement a inspiré d’autres compositeurs à créer de nouveaux opéras, parmi lesquels celles de Chérif Mohieddine, dont Miramar (2005) est particulièrement re- nommé. Cette étude contextuelle explore la politique culturelle en Égypte avant et après la révolution de 1952, révélant ainsi la création d’un répertoire d’opéra unique dans le monde arabe. À travers une analyse critique du contexte politique et culturel, elle offre un éclairage précieux sur l’évo- lution et l’essor remarquable de l’opéra égyptien. “When Puppets Sing in Iran”: Reconfiguring Iran’s National OperaAn all-female Carmen for an all-female audience; Verdi’s Lady Macbeth as a puppet; the Queen of The Night sung by five singers; these are some of the workarounds that Iranians have devised as they navigate gender politics and taboos on women’s public performance. This paper examines opera as the genre best suited to epitomise the country’s historic apparently mutually exclusive quests: for global outreach and conservatism, for progress and tradition. Tracing the transformations of opera – from its introduction in late 19th century as a part of the Royal fascination with the West to its crucial role in the Pahlavi dynasty’s aggressive Westernisation campaigns, to its disappearance after the 1979 Revolution and its resurrection as a ‘national’ art form – this paper introduces the concept of a new Iranian ‘opera’ in the shape of the recent phenomenon of puppet operas. This new ‘National Opera’, as its creators call it, brings together Iran’s Ta’zieh, the traditional passion plays with roots, Persian dastgah-based singing, and Western-style composition and orchestrations. Drawing on historical sources, archives, and oral history, as well as historicising studies (Abrahamian, 1993), this paper places the relatively new phenomenon of Iranian ‘opera’ within its politico-historical context: from 1960s ‘inter-imperiality’ (Doyle, 2020) through to the contested populism of post-‘Khomeinism’ in present-day Iran. I examine the emergence of this ‘opera’ within the evolving gender politics and as means of surmounting the imposed restrictions on female solo singing, as well as assessing the ‘Nationalistic’ claims of its creators. In so doing, I argue that compared to pre-Revolutionary practice, the new Iranian ‘opera’ is more indigenous than Western, more democratic than elitist, and more accessible than exclusive, and as a result, potentially better suited to placing Iran as a major player in the Global musical scene. L’atelier du mestre violer de la vihuela GuadalupeLa vihuela Guadalupe, conservée au musée Jacquemart-André à Paris, est l'un des rares instruments actuellement identifiés comme une vihuela. Depuis sa découverte en 1936, de nombreuses hypothèses ont été émises quant à son origine, en raison de la marque enflammée sur le manche avec l’inscription « Guadalupe ». Jusqu'à présent, l'hypothèse la plus plausible était qu'elle pouvait correspondre au nom de son auteur. Parmi ces hypothèses raisonnables figurait la trace du maître Joan de Guadalupe, localisé à Tolède en 1525. Cependant, la documentation montre que le mestre violer Alonso de Guadalupe, père de Joan, s'est installé à Valence en 1508 avec sa propre maison qui lui servait également d'atelier. Les circonstances sociales dans lesquelles il se trouvait impliqué nous permettent de découvrir l'intérieur de son atelier et de révéler les pièces où étaient fabriqués non seulement des vihuelas, mais aussi d'autres types d'instruments. Nous savons ainsi qu'au moins deux luthiers travaillaient dans l'atelier, avec l'aide éventuelle d'un apprenti ou d'un membre de la famille. L'analyse de son domicile révèle des détails intéressants sur sa vie et sa carrière professionnelle. Il s'agissait d'un artisan au prestige reconnu, documenté entre 1508 et 1521, non seulement à Valence, mais aussi à Guadalajara, au service de la « Casa del Infantado ». Ce détail nous aide à comprendre sa situation sociale et sa position éventuelle par rapport au soulèvement de la Germanie à Valence au XVIe siècle. Cependant, c'est grâce à son nom de famille que nous avons pu retracer sa famille et ses biens. D'autre part, il est mentionné comme fabricant de vihuelas dans l'inventaire du premier marquis de Zenete, qui vivait à Valence à la même époque. La description d’un des instrumentscorrespond très exactement à la vihuela, mais l’hypothèse probable qu'il s'agit du même instrument reste ouverte dans l'attente d'une étude dendrochronologique actualisée. Tenoras, tibles et musées : le paradoxe des instruments catalansLa tenora et le tible sont des instruments catalans à anche double qui jouent dans l'ensemble de la cobla (qui joue de la musique de sardane) et sont considérés comme des symboles de la culture catalane. Ils sont également souvent considérés comme une « tradition inventée », car leur invention est généralement attribuée à Andreu Toron, qui présenta son « oboé-tenor » à Perpignan en 1849. L’histoire de la tenora et du tible est étroitement liée à celle du nationalisme catalan et de la recherche d'une identité nationale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Les mouvements de la Renaixença et du Noucentisme cherchaient à créer une culture nationale en élevant certaines formes d'art populaire vers la haute culture. Bien que la sardane ait d'abord été une tradition populaire, régionale et dansant, elle est aussi devenue une musique concertante. Comprendre ce paradoxe est essentiel pour comprendre la position de la tenora et le tible dans la culture catalane. De nombreuses collections d'instruments européennes possèdent des tenoras et des tibles. Il n'est pas surprenant de constater que les collections catalanes comprennent le paradoxe de ces instruments, alors que d'autres collections européennes les considèrent comme folkloriques. Certaines collections cherchent à documenter une tradition, alors que d'autres reconnaissent qu'il s'agit aussi d'une culture musicale vivante et en constante évolution. De plus, les musées catalans cherchent à préserver leur propre patrimoine en collectant alors que d'autres collections européennes cherchent souvent à créer des collections d’instruments universelles. Cette communication démontrera la position paradoxale de la tenora et du tible dans les musées à travers des collections catalanes de deux musées : le MUCEM - Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Marseille) et le Musée d'instruments de musique (MIM, Bruxelles). Je m’appuierai sur les communications épistolaires de Victor-Charles Mahillon et les archives du MUCEM pour aborder des questions d'authenticité, tradition et exotisme dans les collections d’instruments catalans. Les instruments de basses dans les effectifs fixes des musiques des grandes églises au XVIII e siècleJean-Baptiste Métoyen (1733-1822), ancien bassonniste de la Chapelle Royale, a attiré notre attention sur la distinction qui était faite durant l’Ancien Régime entre ce qu’il nomme les « Musiques de chapelles », qui convoquent l’ensemble des instruments de l’orchestre, et les « Musiques de cathédrales », accompagnées par les seuls instruments de basse, qui à eux seuls contribuent à accompagner les chœurs polyphoniques durant les grandes fêtes de l’année. On s’est encore peu intéressé à ces effectifs spécifiques des « Musiques de cathédrales » de serpent, bassons, basse de viole, violoncelle, contrebasse, tous instruments de registre grave censés exécuter à la fois les parties de basse continue en soutien de la polyphonie vocale, mais aussi les parties mélodiques confiées dans les « Musiques de Chapelles » aux instruments de dessus comme les violons, hautbois ou flûtes, lorsque les moyens le permettaient pour les grandes occasions, ou comme à la Chapelle royale qui disposait d’un orchestre complet fixe.
À partir de la base de données prosopographique Muséfrem et des figures de nombreux musiciens, il s’agira d’approcher une part de la réalité concrète, encore mal connue, de l’emploi de l’appareil instrumental, caractérisé par son registre grave, qui fut le plus couramment employé dans les grands sanctuaires de France au XVIIIe siècle.
L'enseignement spécialisé de l'interprétation des musiques médiévales : enjeux didactiques et premiers résultats d'une enquête sonoreL’interprétation historiquement informée s’appuie sur des savoirs musicologiques et suscite des collaborations entre musicologues et musiciens (Butt 2002). Cette nécessité est particulièrement prégnante dans le cas des musiques médiévales pour lesquelles la question des sources, de la notation, des structures mélodiques, des constructions contrapuntiques ou encore de la compréhension des textes s’avère des connaissances préalables et déterminantes dans les choix artistiques et les gestes musicaux réalisés par les interprètes (Potter 2018). Les formations spécialisées des classes de conservatoires articulent les savoirs théoriques aux apprentissages pratiques (voix et/ou instruments, solistes ou ensembles) et permettent aux jeunes musiciens de se spécialiser dans l’interprétation de ces répertoires anciens. Notre projet de recherche vise à observer in situ la manière dont ces savoirs sont présents, et comment se manifestent, dans le temps de la formation, les phénomènes de transposition des connaissances musicologiques vers leur mise en oeuvre dans la pratique musicale (Chevallard 1985, Perrenoud 1998, Terrien, Joliat & Chatelain 2023). L’objectif premier de ce travail est de documenter les pratiques propres à l’enseignement des répertoires médiévaux, en donner à entendre et à comprendre des situations, afin de permettre à leurs acteurs à différents niveaux de mieux saisir les spécificités de leurs gestes professionnels. Pour ce faire, nous avons réalisé entre février et juin 2025 des captations audios auprès de six enseignants dans les classes du CNSMD de Lyon et la Schola Cantorum Basiliensis. Cette collecte de données est complétée d’entretiens d’explicitation ou d’autoconfrontation avec les enseignants et/ou les étudiants. Ces captations sont ensuite montées pour la réalisation d’un documentaire sonore de recherche (podcast), expérimentant l’écriture sonore comme manière innovante de conduire et restituer la recherche. Cette communication propose une première réflexion sur la méthode et les résultats de cette enquête, en présentant de courts extraits choisis du documentaire Dans la classe de musique médiévale, enjeux didactiques d’un enseignement spécialisé réalisé en 2025, afin d’interroger les spécificités, la plus-value et les limites de l’expérimentation. Enquête sur la classe d’esthétique du Conservatoire de Paris : l’enseignement de Marcel BeaufilsSous le mandat de Claude Delvincourt fut créée en 1947 au Conservatoire de Paris une classe de « Pédagogie et esthétique générale », rapidement rebaptisée « Culture générale et esthétique » puis « Esthétique ». Initialement tenue conjointement par Marcel Beaufils et Roland-Manuel, elle connut une extraordinaire stabilité pédagogique : à Marcel Beaufils (1947-1971) succédèrent Rémy Stricker (1971-2001) puis Christian Accaoui (2001-2021). Si les personnalités de Roland-Manuel et de Rémy Stricker ont donné lieu à de récentes journées d’étude en 2016[1] et 2023[2], la figure de Marcel Beaufils, germaniste réputé et auteur d’ouvrages régulièrement réédités (parmi lesquels Comment l’Allemagne est devenue musicienne ou encore Musique du son, musique du verbe), n’a jamais fait l’objet d’une investigation systématique en dépit d’un bref article de témoignage laissé par son successeur[3]. Or les interrogations sont nombreuses : pour quelles raisons cette classe fut-elle créée en 1947 ? eut-elle un lien avec la classe de Messiaen qui porta de façon éphémère le même nom[4] ? comment expliquer la nomination du tandem Beaufils/Roland-Manuel ? quel fut le fonctionnement de cette classe ? quel enseignement y livra Beaufils ? qui furent ses élèves ? Pour tenter de répondre à ces questions, on a lancé une enquête qui s’intègre dans le cadre d’un programme plus large mené par Emmanuel Reibel sur l’histoire de l’esthétique en France. Grâce à l’appui de Victor Burgard, recruté en 2024-2025 sur une mission d’ingénierie de recherche à l’IHRIM et auteur d’un mémoire lié à cette question[5], il s’est agi prioritairement de dresser la liste des anciens élèves[6] de Marcel Beaufils afin de recueillir les témoignages de ceux qui sont encore en vie[7]. Dans le cadre du Congrès, nous présenterons le travail en cours : il s’agira tout d’abord de montrer comment s’est organisée la constitution des sources, afin de soumettre une liste raisonnée des documents nous permettant de mener l’histoire de la classe de Marcel Beaufils (archives administratives, documents de cours, entretiens d’anciens élèves, notes de cours, etc.) ; on esquissera alors des pistes sur deux questions majeures concernant l’apparition de cette classe et la conception sous-jacente de l’esthétique révélée par les choix pédagogiques de Beaufils, en les rapportant notamment à l’approche théorique de Charles Lalo[8] ; l’enquête permettra ainsi de réévaluer la place spécifique de l’esthétique en France comme sous-discipline de la musicologie, à la suite des travaux de Christian Accaoui et d’Inès Taillandier-Guittard[9]. [1] Rémy Stricker, « Colloque Roland-Manuel (novembre 2016) | Roland-Manuel pédagogue », La Revue du Conservatoire [En ligne], Actualité de la recherche au Conservatoire, Le septième numéro, La revue du Conservatoire, mis à jour le : 24/05/2019, URL : https://larevue.conservatoiredeparis.fr:443/index.php?id=2153, consulté le 17/08/2025. [2] « Rémy Stricker, interprète et passeur », voir https://www.conservatoiredeparis.fr/fr/saison-20222023/journee-detude-remy-stricker-interprete-et-passeur, consulté le 17/08/2025. [3] Rémy Stricker, « L’entrée de "l’humanisme" au Conservatoire », in Anne Bongrain et Yves Gérard (dir.), Le Conservatoire de Paris, 1795-1995 – Des Menus-Plaisirs à la Cité de la musique, Paris, Buchet/Chastel, 1996, p. 283-287. [4] Jean Boivin, La classe de Messiaen, Paris, Christian Bourgois, 1995. [5] Victor Burgard, La musique et l’insondable. Trajectoires disciplinaires de l’esthétique musicale, de la deuxième moitié du XIXe siècle aux années 1970, mémoire d’histoire de la musique sous la direction de Rémy Campos, CNSMDP, 2025. [6] Palmarès du CNSMDP, 1949-1971, Archives du CNSMDP. [7] Sept entretiens semi-directifs ont d’ores et déjà été menés entre mai 2024 et juin 2025 avec Gilles Cantagrel, André Gorog, Jean-Jacques Gorog, Edith Lejet, Alain Meunier, Hélène Paul et Pierre Réach. [8] Charles Lalo, Esquisse d’une esthétique musicale scientifique, Paris, Félix Alcan, 1908 ; Esthétique, Paris, Vuibert, 1925. [9] Christian Accaoui et Inès Taillandier-Guittard, « L’esthétique musicale dans la Revue de musicologie. Définitions, statuts et enjeux », Revue de musicologie, t. 104, no 1- 2, 2018. Dancing in the classroom: an ethnomusicological approach to music education through participative community learning and teaching practices — a case study of the Balfolk movementUsing the Balfolk cultural community as a case study, examined through the lens of ethnomusicological and music educational theories, this project sheds light on innovative learning and teaching practices within a global grassroot network of musicians and dancers. This project critically investigates Balfolk pedagogies specifically focussing on practitioners’ diverse impressions and individual experiences, and offers an analysis of contextualised aural, improvisational and peer-to-peer educational strategies. Exploring the mutual benefits of community engagement, the use of diverse cultural heritage, and the creation of equitable partnerships in learning and teaching, this study proposes the implementation of innovative dance educational practices to broaden and enrich existing formal music education and teacher training. With a core subject at the crossroad of ethnomusicology, music education, dance and movement studies, the chosen research strategy embraces mixed methodologies borrowed from multiple fields, and a peculiar positionality in collaborative research which will be extensively reflected upon. In line with Schippers’ framework (2010) and based on Campbell’s reflections on teaching music globally (2004), this study builds upon theories of compassionate music education (Hendricks, 2018), community building (Kaufmann Shelemay, 2011), musical cosmopolitanism (Stokes, 2007; Appiah Kwame, 2006; Papastergiadis, 2013), and takes a critical look at fundamental ethnographic reflections (Geertz, 1973) and anthropological works on cultural globalisation (Said, 1978; Anderson, 1983; Richards, 2014). Thus, this presentation will investigate to what extent ethnomusicological reflections may shape future music teacher training policies and enhance music education through fostering inclusivity and sustainability in classroom practices. Based upon preliminary data collection including participant observation, ethnographic interviews, focus groups, surveys and situational analysis, this presentation will offer an overview of this emerging project and its potential impacts. Georges Brassens : heurts et malheurs d’une oreille chercheuseLa musique de Georges Brassens a souvent suscité des commentaires excessivement polarisés, entre accusations de monotonie ou d’incompétence d’un côté, et fétichisation ou idéalisation d’un jeu de guitare censément plus complexe que la moyenne et d’une vie harmonique plus riche que d’apparence. Des travaux récents de passionnés (Richard, 2021) ou d’universitaires (Kippelen, 2023) ont utilement fait le point sur ces questions. Il subsiste néanmoins un paradoxe entre les finesses mélodiques et harmoniques que l’oreille de l’auteur-compositeur semble entendre ou viser, et la réalisation tantôt stable et assurée, tantôt hasardeuse et mouvante, que produit l’interprète, aussi bien dans la performance vocale que dans le jeu de guitare. L’analyse fine d’un ensemble de détails de performance est susceptible d’apporter des indices de la façon dont Brassens entend, avec ce qu’on pourrait appeler une « oreille chercheuse », dans le sens où elle semble à la fois savoir précisément ce qu’elle cherche (d’où notamment la permanence de certaines positions d’accords qui sont de véritables accords-timbres, visiblement impensables dans tout autre renversement) et ne pas toujours trouver les moyens de parvenir à la solution convoitée (d’où de nombreux tâtonnements et de nombreuses variantes – parfois impromptues – d’harmonisation, repérables en comparant différentes performances live ou studio, voire de tentatives de reconfigurations mélodiques significatives). Brassens affirmait : « J’ai d’abord eu comme école mon oreille […]. Mais c’est très suffisant, pour la musique, l’oreille » (voir Rochard, R/2021). On s’efforcera de montrer que si l’oreille de Brassens a en effet été très suffisante à l’invention d’un univers chansonnier remarquablement cohérent et original, elle a aussi parfois créé un hiatus entre une sensibilité très développée à l’invention mélodique, à l’expressivité harmonique d’un intervalle voire à la conduite des voix, et une éducation rudimentaire ou approximative à la pratique instrumentale d’une part (absence systématique de tout renversement d’accord) et à l’harmonie d’autre part. Plusieurs exemples de variantes de performance dans certaines chansons, étudiées dans cette communication, pourraient ainsi matérialiser en quelque sorte l’insatisfaction d’une oreille chercheuse qui a souvent trouvé avec bonheur ce qu’il lui fallait, mais qui n’a pas toujours été secondée jusqu’au bout dans la trouvaille d’une réalisation recherchée. Sheller en segmentaire : vers une typologie formelle de la chanson shellerienneS’appuyant sur un corpus étendu de chansons enregistrées par William Sheller (né en 1946) depuis 1968 jusqu’à nos jours, cette communication propose une analyse systématique des pratiques compositionnelles récurrentes de l’auteur-compositeur-interprète, en particulier en ce qui concerne les structures formelles qu’il privilégie. Si le cadre contraint de la chanson populaire encourage fréquemment le recours à des schémas traditionnels — tels que le couplet/refrain ou la forme strophique —, Sheller, fort de sa formation classique et académique, mobilise également des procédés issus du répertoire savant (forme ABA, ouverture à la française, variations formelles complexes, etc.). L’hypothèse initiale est que la chanson shellerienne manifeste une hybridation singulière entre une tendance pop et commerciale de la chanson, et une aspiration classique, à l’image de la double influence que note Sheller lui-même : d’abord Beethoven, balayé ensuite par la découverte des Beatles dans les années 1960. La position de Sheller est ambivalente vis-à-vis de sa production chantée, qui se doit d’être porteuse d’ambitions symphoniques tout en restant accessible, qui doit inclure une harmonie souvent audacieuse tout en la plaçant dans une grille et une logique d’écriture répétitives, qui doit cheminer dans plusieurs tonalités tout en conservant une immédiateté et une accroche mélodiques importantes. L’analyse formelle systématique tentera de montrer la manière dont l’intrication de ces différents paramètres (parcours tonal, arrangement, inventivité mélodique, diversité rythmique, etc.) façonne une structure de chanson particulièrement variées, notamment dans les sections extrêmes (introductions et conclusions) et dans les zones de jonction et de transition (ponts instrumentaux, mais aussi pré- et post-refrains). L’étude de cas se focalisera sur un groupe restreint de chansons emblématiques, piochées dans différentes époques et appartenant à des styles volontairement éloignés, depuis « Oncle Arthur et moi » (1975) jusqu’à « Revenir bientôt » (2004) en passant par « La Tête brûlée » (1989). Barbara et l'harmonie : de la stylistique à la sémantique
Tant pour son alliage intime entre poésie et chant que pour les nuances frêles de sa voix, Barbara semble un objet d'étude de premier ordre dans le cadre d'une approche musicologique de la chanson française. Ses musiques comportent un certain nombre d'idiolectes (marches harmoniques, rosalies, anatoles, lamento) qui laissent jaillir l'épanchement et le lyrisme, tout en révélant une étonnante simplicité de facture. Il existe dans certaines chansons des enchaînements de quatre accords répétés en boucle, soutenant confortablement la voix, tandis que certaines grilles vagabondent d'une chanson à l'autre sans nouer a priori de lien avec les paroles. Ainsi, si la fonctionnalité syntaxique de l'harmonie tonale demeure associée à celle de la prosodie, on peut s'interroger sur son rôle sémantique, propre à mettre en valeur le sens du texte. L'analyse des chansons composées par Barbara entre 1962, année de son premier succès Dis, quand reviendras-tu, et la fin des années 1970[1] permettra d'élaborer une stylistique harmonique, tonale et formelle, selon une méthode statistique que nous avons déjà appliquée aux chansons de Georges Brassens[2]. Notre étude aura également pour objet de révéler les liaisons discrètes entre ses choix harmoniques en général homogènes et la portée émotionnelle de ses textes. [1]Cette période correspond au développement du style « rive gauche », dont elle se détourne peu à peu à partir de 1981, lorsque l'altération de sa voix l'oblige à repenser sa pratique scénique et musicale. [2]Cf. Etienne Kippelen, Brassens et la musique. Une question d'harmonie, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2023. Le qin, un instrument chinois, local, déterritorialiséLa cithare qin琴 est un instrument de musique, un symbole, un signe de rencontre, un emblème. Il a été transmis à travers la Chine depuis plus de mille cinq cents ans avec une technique, une écriture, des notations musicales, des airs, une science de l’accordage, et toute une esthétique, liée à la poésie, la calligraphie, la nature, l’immortalité, l’ivresse. En même temps a été transmise l’affiliation à des écoles, implantées localement, au Sichuan, au Shandong, au Zhejiang. En 1980 deux jeunes gens de Hong Kong, Bell Yung 榮鴻曾 et Joseph Lam 林萃青, vont rendre visite aux maîtres de la République populaire à peine sortis de la Révolution culturelle. Ils comprennent que ceux-ci avaient cru leur pratique, leur art, leurs savoirs menacés d’extinction, et espéraient que le qin ait survécu en exil, à Hong Kong, Taïwan, Singapour. En 1986, une rencontre célébrant les 80 ans du maître Wu Jinglüe 吳景略 rassemble à Pékin une centaine de passionnés, musiciens, chercheurs, artistes, Chinois de Chine continentale ou d’outre-mer, Japonais, Américains, Européens. Aujourd’hui les gens de qin se rencontrent dans l’État de New York, puis la semaine suivante à Lisbonne, pour un concert ou une « réunion élégante », ce dont se font écho certains réseaux sociaux. Des dizaines de milliers de jeunes gens apprennent le qin comme pratique, comme loisir, comme travail de l’énergie. Dans ce monde décentré, peu polarisé, des « villages de qin » se créent et avec eux la pratique des stages. On reviendra sur l’absence pendant mille ans d’implantation du qin en Corée, au Japon ou au Viêt-Nam, quand bien même l’instrument y est parvenu, on évoquera sa présence dans les musées et les collections, pour enfin envisager sa mondialisation actuelle en comparaison avec le didjeridoo, le taiko et le djembé. La transformation de la pratique vocale chez le Peuple Aïnou au travers du kamui yukar (récit divin)Les Aïnous sont un peuple autochtone ayant historiquement vécu dans une vaste région à cheval entre le nord du Japon et l’Extrême-Orient russe. Après l’annexion du Hokkaidō par le Japon en 1869, des politiques d’assimilation ont interdit la langue aïnoue et ont progressivement effacé leur mode de vie, soumettant leur culture, y compris leur musique et leur danse, à la culture japonaise dominante. Le kamui yukar, ou menoko yukar (« yukar des femmes »), est une tradition orale aïnoue transmise principalement par les femmes. Ce récit divin, chanté et récité à la première personne, exprime le monologue d’une divinité. Sa musique se caractérise par l’alternance des refrains et des vers courts (de 4 à 5 syllabes). Cette pratique témoigne du rôle religieux essentiel joué par les femmes dans la société aïnoue. Aujourd’hui, le kamui yukar connaît une transformation : la tradition musicale coexiste avec une réinterprétation contemporaine à caractère théâtral. On observe l’intégration d’interprètes masculins et non aïnous, ainsi qu’une évolution du style vocal, désormais plus scénique et dramatique. Ce phénomène illustre la redéfinition de la culture aïnoue, confrontée à l’assimilation et à la migration vers l’intérieur du Japon, qui s’inscrit désormais dans la culture contemporaine japonaise. Cette présentation analysera quatre exemples d’interprétation du kamui yukar, du XXe siècle à nos jours, mettant en lumière la standardisation des performances ainsi que la théâtralisation progressive liée aux contextes touristiques, c’est-à-dire l’introduction d’éléments dramatiques dans la mise en scène. Music, Ideology, and Youth: A Case Study of the song "Salām Farmāndeh" and the Evolution of "Soruds" in Contemporary IranThis article examines "Salām Farmāndeh" as a case study of "soruds" (state-sponsored songs produced to advance ideological narratives and maintain cultural hegemony). It argues that “Salām Farmāndeh” represents a significant shift in the Islamic Republic’s cultural strategy: blending religious themes, nationalist sentiment, and popular music elements to mobilize younger generations, particularly Generations A and Z.[1] Through qualitative analysis of its musical structure, lyrical content, and state-led promotional campaigns, the paper demonstrates how the song operates as an ideological state apparatus (ISA)—a tool for reinforcing loyalty to the principles of Velāyat-e Faqih (Guardianship of the Islamic Jurist) and the Islamic Republic’s ideological foundations. Guided by Gramsci’s theory of cultural hegemony and Althusser’s concept of ISAs, this study reveals how contemporary soruds like “Salām Farmāndeh” reflect the regime’s adaptation of propaganda techniques to secure consent, not merely through coercion, but via emotional, cultural, and generational appeal. The findings contribute to broader discussions of the intersection of music, power, and ideological reproduction in modern Iran. [1] Generation Alpha refers to children born between 2010 and 2025, while Generation Z refers to those people born between 1997 and 2012. Methodological-philosophical matters and their application in the research of cognitive musical tension of complex musical structuresIn this paper I present methodological-philosophical matters from the Introductory chapter of my doctoral dissertation (Lock 2025) on 'Perceived Structural Musical Tension' (PSMT) in contemporary post-tonal orchestral music (CPTOM) identified as Cognitive Musical Tension (CMT) and a temporal dynamic wave-like (real-world) phenomenon (TDWP) (Lock 2024). This cumulative dissertation achieves a refined perspective on complex musical structures (the general object). Its basic goal is to combine music analysis and music psychology, its general aim is to advance analytical methods to enhance the comprehension of such music via musical tension (the special object). The main objective is to observe and analyze the experience of musical tension via attentive listening focusing on structural aspects (musical parameters) in the music (2002/2003) of the Estonian contemporary composer Erkki-Sven Tüür (b. 1959). The following methodological-philosophical matters support the solutions to five scientific Dilemmas (Lock 2024): intertwining of music-theoretical and music-psychological thinking (e.g. Cross 1998a, Addessi & Caterina 2000, Addessi 2010, Dahlstedt 2007) between introspection (as signal detection, see psychophysical measurement, Morales 2018, 2024), intuitive and scientific approaches (Clifton 1975, Cross 1998b, Broman & Engebretsen 2007). The elementary philosophical basis is Kant’s (1998) analytic idealism and different categorizations of philosophy of mind and science (e.g. Cross 1998b, Kaipainen & Tikka 2022). I discuss temporal dynamic cognitive processes (Mailman 2010, Stern 2010, tension and proto-narratives, Imberty 2000) and microgenesis (Bachmann 2000, Rosenthal 2004) and present my application of principles of psychophysical measurement (e.g. Shepard 1978, Steingrimsson 2016; “just noticeable differences” (JND-s) detected in Impulses/“moments of change”) based on Kraus' (2013/2016) proposition to use “outer” sense (a physical object), especially my audio-visual salience-based COSM (Cognitive Octagonal Slice Model) as intersubjective spatial standard-object to measure musical tension as “inner” sense-magnitudes. This is the central methodological novelty of this dissertation to the research of musical tension and complex musical structures. Le genre en jeu — Styles de pratique et improvisation musicaleLa musicologie peut-elle, en matière d’improvisation musicale, expliquer les différenciations des styles de pratique ? Est-elle en mesure d’offrir une alternative aux représentations artistiques usuelles qui raccordent sur un mode parfois innéiste les gestes et actions des improvisateur·rices à l’arbitraire de leur « personnalité » ou de leur « sensibilité » singulière ? Cette communication se propose d’examiner les manières dont les rapports sociaux de genre – dès lors qu’on les envisage sous leur forme incorporée, donc sous forme de dispositions orientant les pratiques – se logent jusque dans les plis les plus fins des performances improvisées. À partir d’une enquête ethnographique menée durant deux ans au sein de la classe d’improvisation générative du CNSMDP, complétée d’une trentaine d’entretiens menés auprès des étudiant·es et des enseignants, il s’agira d’interroger la différenciation genrée des façons d'occuper deux dimensions de l’espace de jeu : l’espace temporel et l’espace du volume sonore. Je montrerai ainsi que les étudiants tendent à s’approprier les débuts et les fins des performances et à saturer le temps d’improvisation disponible de leur présence de jeu, tandis que les étudiantes se mettent davantage en retrait et adoptent un style d’intervention plus aéré. Dans le même esprit, ce sont les étudiants qui ont tendance à jouer le plus fort, certains d’entre eux transgressant régulièrement les limites instituées dans ce cadre, tandis que les étudiantes cantonnent leur production sonore à un niveau d’intensité plus faible, se rendant plus souvent coupables, selon la perception des enseignants, de défaut de volume. Les dispositions au principe de cette grande différenciation, bien qu’adaptées aux spécificités et aux contraintes pratiques de l’improvisation libre, s’inscrivent dans des oppositions de genre plus générales : désir de contrôle formel, sentiment d’autorité, attention interactionnelle modeste et goût de la puissance du côté des hommes, relative indifférence à la projection formelle, moindre assurance de soi, care interactionnel et goût de la modération du côté des femmes. De l’incertitude créatrice à l’œuvre ouverte : Innovations pédagogiques en orchestre numériqueSur le temps du concert, « quelque chose se passe » (During, 1992). C’est l’incertitude de cet instant, ce « bégaiement vital » (Deleuze, 1991) qui rend la musique et son interprète fragiles. Si une partition détaillée et un artiste formé peuvent réduire cette vulnérabilité, l’œuvre ouverte, définie par Umberto Eco comme un champ de possibilités, confère à l’interprète une responsabilité créative (1965). Dans une recherche-action/création menée en orchestre numérique au collège, j’analyse l’émergence d’idées musicales et de gestes créatifs dans le processus de création. Dans la philosophie de l’expérience esthétique, l’art est un processus vécu, une démarche expérientielle (Dewey, 1934) et la création un espace puissant de construction de sens et de développement de la créativité (Imberty, 1991 ; Mialaret, 1996). L’imprévisible, inhérent à l’œuvre ouverte, exige alors de l’enseignant un ajustement fin de ses stratégies pédagogiques (Nattiez, 1987 ; Delalande, 2001). Ces pédagogies innovantes où l’apprentissage naît de l’action et de la résolution de situations-problèmes nécessitent une plus grande implication et autonomie de l’élève (Cros, 1997) et qui rompent avec les pratiques instituées. Dans cette recherche, l’analyse qualitative (captations, verbalisations, écrits) et quantitative (statistiques, motion capture) révèlent que la créativité se nourrit d’un équilibre entre liberté et guidage, notamment dans les phases d’exploration. Mais le cadre, ou milieu favorable, n’exclut pas la confrontation à l’incertitude qui contribue parallèlement au développement de la pensée divergente et convergente, l’estime de soi, la coopération, favorise une posture réflexive et une tolérance à l’ambiguïté (Lubart, 2010 ; Perrenoud, 1997 ; Dewey, 1934). Si l’œuvre est ouverte au sens où l’est un débat, elle invite les élèves à « faire l’œuvre ». Dépassant la logique de reproduction ce type de projet inscrit la création, via l’œuvre ouverte, comme une expérience formatrice et un levier didactique fort interrogeant la place de la création dans l’éducation musicale et la formation des enseignants. Du Kapellmeister au coordinateur. Boulez chef d'orchestre selon André BoucourechlievOn se propose, dans cette communication, d’étudier le discours d’André Boucourechliev sur la pratique boulézienne de la direction d’orchestre, à partir d’un article publié dans Preuves en 1962 : « Pierre Boulez à Donaueschingen ». Réagissant à la création de la version définitive de Pli selon pli, Boucourechliev commence par évoquer les mécanismes d’ouverture de l’œuvre, avant de poser la question de l’interprétation d’une forme ouverte par un grand ensemble : comment concilier libertés individuelles et jeu collectif, sans sombrer dans l’anarchie ? La solution tient pour lui dans une redéfinition de la technique et du rôle du chef d’orchestre : celui-ci, à l’instar de Boulez dirigeant son œuvre, ne doit plus agir en « chef », mais en « coordinateur ». Symétriquement, l’orchestre, jusqu’alors collectivité obéissante, doit se muer en ensemble d’individus émancipés. On s’efforcera tout d’abord d’expliciter les propos de Boucourechliev : quels sont pour lui les symptômes d’un changement de régime dans la pratique de la direction d’orchestre ? On tentera ensuite de replacer ces propos dans leur contexte : celui d’une critique de la direction d’orchestre comme pratique autoritaire, elle-même influencée par la critique barthésienne des rapports de pouvoir et de la fixité des places et des rôles sociaux. On interrogera, enfin, le lien établi par Boucourechliev entre type d’écriture musicale et type d’interprétation. Car en invitant le chef à se muer en coordinateur, l’œuvre ouverte ne se contente pas de permettre à son interprète de jouir égoïstement d’une liberté nouvelle : elle contribue à l’instauration de collectifs et de dynamiques plus égalitaires et démocratiques. Cette lecture éthique et politique de l’art de Boulez, qui pensait son propre travail avant tout en termes techniques, est l’un des aspects les plus intéressants de la pensée de Boucourechliev. Pierre Boulez et le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence : direction, composition, conseil artistiqueLa carrière protéiforme de Pierre Boulez a cette année fait l’objet d’hommages multiples et a été l’occasion pour de nombreuses institutions de retracer les temps forts de sa vie de compositeur, directeur musical, théoricien de la musique ou encore de conseiller artistique. À partir d’archives inédites, cette communication propose de revenir sur les liens largement méconnus qui ont unis le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence - manifestation musicale majeure de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle – à Pierre Boulez. Le Festival d’Aix a forgé renommée depuis sa fondation en 1948, tant pour l’excellence de ses productions lyriques que pour sa vocation à promouvoir la musique contemporaine ; c’est ici que la carrière de Pierre Boulez croise l’histoire de l’institution. Le jeune musicien y interprète en 1958 comme pianiste soliste sa Troisième sonate pour piano sous l’aile de son mentor, le chef autrichien Hans Rosbaud, et y dirige la même année le prestigieux Orchestre du Südwestkunft de Baden-Baden – épisode fondateur dans ses débuts de chef d’orchestre. Il présente également pour la première fois en France son Marteau sans maître. Pierre Boulez revient régulièrement à Aix diriger ses œuvres ou celles de Stockhausen, Webern, Schönberg et Stravinsky à la tête du Domaine Musical puis de l’Ensemble intercontemporain ; mais c’est à partir de 1998 qu’il joue un rôle artistique déterminant dans la construction du Festival : devenu un personnage public influent, il épaule Stéphane Lissner dans la refondation du Festival d’Aix en 1998 et dans la conception de son Académie européenne de musique. Il continue d’y diriger ses ensembles ainsi que de grandes formations orchestrales (le Mahler Chamber Orchestra, le Berliner Philharmoniker) au service de la musique contemporaine et des grandes pages symphoniques romantiques ; il prend part aux événements lyriques de trois productions marquantes du Festival : Le Château de Barbe-Bleue en 1998 (mise en scène de Pina Bausch), un triptyque Les Tréteaux de Maître Pierre / Renard / Pierrot Lunaire en 2003 et 2006 avec la complicité de Klaus Michael Grüber, et enfin un De la maison des morts avec Patrice Chéreau en 2007. Nous montrerons comment le Festival d’Aix a contribué à la genèse de la carrière de Pierre Boulez en tant qu’institution promotrice de la musique contemporaine, puis comment celui-ci y a développé ses projets pour l’institution au début du XXIe siècle – nous permettant de mieux comprendre les germes de valeurs portées par Festival d’Aix aujourd’hui : la création, la musique contemporaine, la promotion d’esthétiques extra-occidentales, la transmission intergénérationnelle par le biais de son Académie. [ANNULEE] Composition of introductions to pre-existing works as a compositional commentaryLuciano Berio, in the text Translating Music, talks about the compositional process of his Chemins. In this practice, the Sequenza is present, and the commentary, i.e., the new part written for the Chemins is imbued with an analytical process, aiming to reveal latent aspects of the commented work. In other words, starting from an explicit piece, he composes a compositional commentary that, through an analytical lens, brings to the surface previously implicit aspects of the Sequenza used, such as “inherent forms and hidden patterns.” Max Packer proposes the approach of this idea through the Deleuzian concepts of actual and virtual, suggesting the compositional commentary actualizes virtualities from the commented piece. This research aims to investigate a similar but different process: a compositional commentary that is not synchronous but precedent to the commented piece. In other words, to compose introductions to pre-existing works observing it analytically and revealing implicit structures and processes in the commented piece. For Berio, “the best way to analyze and comment on a musical work is to write another one using materials from the original work.” As a research-creation, we are interested in the idea that composing a compositional commentary is also a way of knowing more deeply and expanding our view about the repertoire: it generates a new way of listening to the commented work. The project unfolds in three interrelated parts: (1) theoretical reflection and bibliographical research on intertextuality (Barthes; Kristeva; Michael Klein; Flo Menezes), rewriting (Silvio Ferraz), and compositional commentary (Berio; Max Packer; Deleuze); (2) analysis of historical cases such as Liszt’s Orpheus (as an introduction to Gluck’s Orfeo ed Euridice) and Sciarrino’s De la nuit (as an introduction to Ravel’s Gaspard de la nuit); and (3) the composition of new works that function as introductions to pre-existing pieces, working with their musical materials, gestures, and latent structures. Aux frontières du Rock Progressif : le maximalisme musical dans les compositions « épiques » de Led Zeppelin (1971–1976)Considéré comme l’un des pionniers du Heavy Metal britannique à la fin des années 1960, Led Zeppelin occupe pourtant une place singulière dans ce paysage musical. Comme le souligne Edward Macan, certaines productions du groupe s’écartent du canon du metal pour flirter avec les codes du Rock Progressif. Cette porosité est typique des scènes britanniques du début des années 1970, où blues, folk, rock et psychédélisme coexistaient et se mêlaient. Susan Fast identifie, dans une partie de leur répertoire, des compositions dites « épiques », caractérisées par leur longueur, une narration développée, des structures musicales complexes, une absence de références au blues, et un fort impact émotionnel. Ces éléments sont proches des fondements du Rock Progressif, tels que définis par Jerry Lucky, qui insiste notamment sur la sophistication formelle et l’ambition conceptuelle de ce genre. Cependant, malgré ces similitudes, Led Zeppelin n’est traditionnellement pas classé parmi les groupes emblématiques du Rock Progressif. Pour dépasser cette classification restrictive, nous proposons d’aborder certaines de leurs œuvres – comme Stairway to Heaven, No Quarter, In the Light ou Achilles Last Stand – sous l’angle du « maximalisme musical ». Ce concept, moins connoté historiquement, désigne toute démarche visant à repousser les limites des formes musicales standardisées. Appliqué au rock, il permet de penser ces compositions comme des tentatives d’expansion esthétique et narrative, à la croisée des genres. Cette approche offre une nouvelle lecture du style de Led Zeppelin, en replaçant leur ambition musicale dans un cadre plus large que celui du Rock Progressif. Influence de la distorsion sur la perception du geste et des intentions musicales à l’aide de descripteurs acoustiquesLa distorsion est un effet sonore fréquemment utilisé dans les musiques amplifiées, en particulier pour les instruments comme la guitare électrique. Elle modifie profondément le contenu spectral du signal en générant des partiels supplémentaires (Hartman, 2013), ce qui entraîne une transformation du timbre. Ces altérations se traduisent notamment par une augmentation de la brillance, liée à la concentration d’énergie dans les hautes fréquences (Grey & Gordon, 1978 ; Beauchamp, 1982 ; McAdams et al., 1999 ; Enderby & Stables, 2017), et de la rugosité, liée à la densité de partiels étroitement espacés, particulièrement au-delà de la sixième partielle (Helmholtz, 1963 ; Lichte, 1941). Ces deux dimensions acoustiques jouent un rôle central dans la perception affective et sensorimotrice des sons (Zwicker & Fastl, 2007 ; Berger & Fales, 2005 ; MacCallum & Einbond, 2008). Des recherches antérieures ont montré que les sons distordus sont fréquemment associés à des émotions négatives telles que la peur, la colère ou l’agressivité (Walser, 1993 ; Arnal et al., 2015 ; Wallmark, 2018), et qu’ils mobilisent également des représentations motrices, suggérant une perception d’effort physique ou d’intensité gestuelle (Wallmark et al., 2018). De plus, ces altérations peuvent réduire la sensation de plaisir (Herbst, 2017, 2019). Toutefois, peu d’études ont isolé les contributions spécifiques de la brillance et de la rugosité à ces effets perceptifs. L’objectif de ce travail est d’examiner comment les modifications spectrales induites par la distorsion influencent la perception de l’intensité émotionnelle et du geste musical. Ce travail ambitionne donc de mieux comprendre le rôle des caractéristiques timbrales dans l’expression musicale, en articulant traitement acoustique, perception affective et représentation corporelle. Il pourrait également éclairer les usages expressifs de la distorsion dans les pratiques musicales contemporaines. Modèles mathématiques et computationnels dans et pour la chansonPeut-on aborder l’analyse de la forme chanson dans une perspective musicologique qui intègre des modèles mathématiques et computationnels ? C’est le défi qui anime, depuis une dizaine d’années, une partie de mes recherches théoriques autour de l’analyse musicale transformationnelle et de l’utilisation d’environnements web open-source et interactifs pour l’étude des musiques populaires modernes (Andreatta. Loin de se limiter à la musique savante, les approches néo-riemanniennes en théorie et analyse musicale s’appliquent en effet de façon extrêmement pertinente au domaine des musiques dites actuelles (pop, rock, jazz, chanson, …). L’analyse musicale transformationnelle est clairement un domaine en pleine effervescence, comme nous avons pu le souligner dans notre lecture critique d’un très riche ouvrage collectif dont le titre exprime la volonté d’appliquer ces outils à l’étude des pratiques musicales du monde entier (Chapkanov, 2024 ; Andreatta 2025). Les théories transformationnelles sont intégrées dans une perspective à la fois analytique et compositionnelle dans deux cours que j’assure depuis plusieurs années respectivement au niveau L3 (dans la filière « Musiques actuelles » de l’université de Strasbourg) et au niveau Master (dans le parcours ATIAM de Sorbonne Université. Malgré les publics très différents auxquels s’adressent ceux deux cours, le répertoire d’analyse reste dans les deux cas celui de la popular music et, plus particulièrement, de la forme chanson dont il s’agit initialement de préciser la place au sein d’une catégorie souvent utilisée simplément en opposition aux musiques dites savantes. La présentation discute quelques approches pédagogiques développées dans ces deux cours par rapport, en particulier, à la problématique de mise en chanson de textes poétiques (Andreatta, 2021) et propose un premier bilan critique dans une perspective musicologique intégrant approches analytiques traditionnelles et une panoplie de modèles formels (mathématiques et computationnels) au service de la chanson (Bergomi et al., 2016). Aux sources de l’héritage musical du GabonDepuis plus d'un siècle, une question centrale occupe les anthropologues investis dans l'étude de l'évolution culturelle : les traits culturels sont-ils principalement transmis des populations ancestrales aux populations descendantes (transmission verticale), entre populations voisines (transmission horizontale), ou bien, apparaissent-ils de manière indépendante au cours de l'évolution ? Au titre de l’ethnomusicologie, notre recherche repose sur la systématique et la catégorisation musicales pour développer une méthode de codage des caractères musicaux basée sur l'analyse des transcriptions de 200 chants issus de populations gabonaises connues pour la richesse de leur diversité culturelle. À partir d’une approche phylogénétique de ce matériel, la grande cohérence des arbres obtenus révèle que la transmission verticale joue un rôle clé dans la formation de la diversité musicale, en particulier pour ce qui concerne les caractères musicaux internes. De plus, contrairement à ce qui était attendu, nos travaux révèlent une forte congruence entre la transmission des caractères musicaux et les règles de descendance : les données musicales regroupent clairement les populations en deux groupes, matrilinéaire et patrilinéaire. Nous démontrons ainsi que le système de parenté contraint l'évolution musicale au-delà des facteurs géographiques et d'autres facteurs culturels tels que l'ethnicité, la langue ou le mode de vie. Variations AmStramGram ou l'incroyable histoire du fonds Baucomont : modalités d'une écriture collective au croisement de la création artistique et de la recherche académiqueVoici l’histoire de Jean Baucomont, cet inspecteur qui, dans les années 1930, contribua à fomenter un drôle de projet : collecter toutes les chansons des enfants. Sous sa coordination et à l’échelle nationale, une armée d’instituteurs et d’institutrices bien intentionné.es s’équipent de stylos et de carnets et s’immergent dans les cours de récréation, à l’écoute de leurs gazouillant.es élèves. Héroïque, mais vaine entreprise ! Ne sait-il pas que, des catégories et des tableaux de classement, les chansons s’échappent et s’envolent ? C’est l’histoire des cours d’école, de l’enfance et du jeu. C’est l’histoire des chansons buissonnières. Il y a les belles et les anodines, les idiotes et les historiques, les très courtes et les longues. Elles se laissent écouter comme des énigmes, qu’aucune tentative d’explication scientifique, aucune volonté de classement, ne viennent épuiser. Une fiction radiophonique d’Anne Damon-Guillot (ECLLA) et de la réalisatrice sonore Péroline Barbet-Adda, proposée en écoute collective.
La menace américaine dans la presse musicale française au tournant du XX e siècleLes travaux de Corbière (2024) sur le rôle crucial joué par les imprésarios dans les échanges musicaux transatlantiques mettent en évidence l’adoption de certaines pratiques américaines dans les milieux musicaux européens au début du XXesiècle, notamment en France. En effet, en plus du métier d’intermédiaire musical (agences d’artistes, imprésarios, bureaux de concerts…) qui devient essentiel à l’organisation de la vie musicale, on assiste à une généralisation du Show business et du Star system (Corbière, 2020) coïncidant avec l’essor du disque, puis du cinéma. Ce modèle d’industrie musicale, qui est associé par plusieurs à des influences américaines à cause de sa logique capitaliste, est perçu avec appréhension par une vaste majorité des acteurs du milieu musical français, notamment parce que l’idée qui y domine alors est celle de l’artiste qui ne peut qu’être au service de l’art et non l’inverse. Cette communication portera sur les réactions au sein du milieu musical français face à son américanisation au tournant du XXe siècle. Un dépouillement de la presse musicale permettra de dévoiler comment se concrétise l’influence américaine selon les acteurs du milieu musical français, comment ces derniers réagissent et pourquoi ils réagissent ainsi. À travers des discours sur des sujets comme la publicité, le vedettariat et la réclame ainsi que par le biais des débats esthétiques entourant l’idée de moins en moins universelle que la musique est une fin en soi et non un moyen de faire des profits, cette présentation mettra en lumière comment l’idée d’américanisation a pu servir de bouc émissaire pour dénoncer l’accélération du développement de l’industrie musicale française au tournant du XXe siècle plutôt que de correspondre à de réelles influences américaines. Parisian chronicles: Fernando Lopes-Graça’s concert reviews from Paris (1937–1939)In 1937, fearing being imprisoned again for connections with the far-left movement, the Portuguese composer Fernando Lopes-Graça went into exile in France. He lived in Paris the following two years, a stay that would be important in the composer’s career. There, Lopes-Graça connected with a more diversified music life and met with various musicians. He received composition and orchestration lessons from Charles Koechlin, and had a brief encounter with Bartók, whose works and music language marked him. While in Paris, Lopes-Graça attended several concerts, also. The musical life of the city impressed him and was subject of monthly chronicles to a Portuguese magazine, Revista de Portugal. Besides a composer, Lopes-Graça had a strong activity in the press writing concert reviews and chronicles concerning modern music, national style, and music education. He was a prominent collaborator of literary magazines connected with the opposition to the dictatorial regime “Estado Novo” (1933-1974). One of those was Revista de Portugal, founded and directed by the writer Vitorino Nemésio, and published in Coimbra – a city with strong academic tradition and were Lopes-Graça integrated literary and artistic movements. Revista de Portugal (1937-1940) only had ten issues, and Lopes-Graça wrote to seven of them about his experiences in Paris. The chronicles written by Lopes-Graça to Revista de Portugal revealed to the Portuguese readers facts and ideas about the Parisian musical life, and represent a small archive of information about the city of the years previous to the Second Worls War. But they also reveal much of the interests of Lopes-Graça and of his vision about modern music. This paper intents to disclose both perspectives, inseparable in the analysis of music criticism: what Lopes-Graça wrote about, which concerts and musicians he had the opportunity to listen to; and Lopes-Graça’s personal perspectives about music. L’évolution des mélodies françaises influencées par la culture japonaise : le rôle déterminant d’Henri Gil-MarchexAprès l’ouverture du Japon en 1854, plusieurs Français se rendent dans ce pays. Ils ont laissé des témoignages dans leurs écrits et certains ont également manifesté leur intérêt pour la musique japonaise : la plupart de ces voyageurs n'ont pas apprécié la musique japonaise, notamment en raison des différences culturelles musicales. Ils l’ont perçue comme « sauvage », un « bruit irrégulier » et un « son épouvantable », la considérant comme « inférieure » à la musique européenne. Alors qu’ils ont de manière générale apprécié le Japon pour sa peinture, son paysage et son mode de vie liée à la nature, la musique japonaise est loin d’être appréciée. Cependant, avec l’intérêt croissant pour les objets japonais et la présentation de la culture japonaise dans les Expositions Universelles de 1867 et 1878, la création de pièces musicales, notamment les mélodies, influencées par le Japon se multiplie. L’un des thèmes les plus répandus dans ces œuvres est l’histoire d’amour avec une jeune fille japonaise, la mousmé. Ce terme fait probablement référence à un roman, Madame Chrysanthème publié en 1887, qui a eu un grand succès et diffusé l’image de la femme japonaise en France. Malgré la bonne réputation de ce roman, la qualité musicale des compositions inspirées par ce thème reste très simple, et les compositeurs n’avaient pas l’intention d’exploiter la musique japonaise en la fusionnant avec la théorie musicale occidentale. À l’encontre de cette réputation négative de la musique japonaise, certains musiciens français essayent d'analyser et de comprendre la musique japonaise d'un point de vue neutre. Parmi eux figure Henri Gil-Marchex (1892-1970). Cet ardent défenseur de la musique japonaise déclare même que la musique japonaise devrait amener la musique française à être plus développée dans le futur. Dans ma communication, je souhaiterais analyser comment les mélodies françaises liées au Japon ont évolué. Les pièces créées à partir des années 1920, comme les Huit mélodies japonaises : kaï-kaï d’Alexandre Tansman (1922), Ce Monde de rosée, quatorze Utas de Claude Delvincourt (1927) et Chansons des Geishas d’Armand Bolsène (1930), sont beaucoup plus complexes, tant au niveau de la musique que du texte, par rapport à celles composées au début de la diffusion du japonisme. Pour le texte, on utilise fréquemment le poème japonais, le haïku ; pour la musique, les compositeurs tentent de traduire en sons ce que le poème décrit. L’évolution de ces mélodies coïncide approximativement avec la publication de l’étude de la musique japonaise par Gil-Marchex. J’analyserai donc les mélodies composées à partir des années 1920 en les mettant en relation avec l’analyse de la musique japonaise réalisée par Gil-Marchex en 1927. Les pratiques chantées dans les communautés féminines non cloîtrées : sources et témoignagesAprès le concile de Vienne (1317), le continuateur de Jean de Saint-Victor l’écrit : « lors les béguines furent privées de béguinage […] ; ne n’i chantoit-on, ne n’i lisoit-on ». Dans un dialogue entre une béguine et un maître parisien de la Compilatio singularis exemplorum (fin du xiiie s.), la première parle musique au second : « […] Vous sonnés et nous cantons. Vous cantés et nous espringons […] », lui dit-elle. Si Rutebeuf ou Villon mentionnent, souvent ironiquement, les béguines, ni l’un ni l’autre n’évoquent leur musique. Elles-mêmes – ou leurs biographes – le font quelquefois. Hadewijch d’Anvers parle du chant qu’elle entend à l’église et qui prélude à ses visions, mais ne dit jamais y participer. Marie d’Oignies chante sur son lit de mort et remet à ses « frères » son recueil de cantiques. Thomas de Cantimpré raconte dans la Vie de Christine l’Admirable que la béguine chante les psaumes en se tenant « debout sur des pieux de clôture ». Les statuts du béguinage de Paris, confirmés en 1327 par Philippe VI, disent la nécessité, pour les preudefemmes, d’assister « aus chapitres et aus sermons ». Mais chapitres et sermons ne sont pas chants. Le statut des Haudriettes (1388-95) affirme que « toutes les festes solempnées, [les bonnes femmes] seront ou service ». Encore une fois, il n’est ici nullement question de chant. Mais certains testaments font état de legs « contre musique » et quelques manuscrits notés nous sont parvenus, qui attestent de la présence de musique dans certains béguinages. Quelles étaient donc les pratiques chantées de ces femmes vivant en communautés ? Cette communication se propose d’examiner les diverses sources dont nous disposons aujourd’hui pour tenter de déterminer comment et quand était pratiqué le chant dans les communautés de femmes non cloîtrées du xiie au xve siècle. La chanson au cœur du génocide des Tutsi — Rwanda 1994Son apport si essentiel relève, en premier lieu, de la place centrale qu’occupe l’oralité au sein des sociétés subsahariennes. Vaste territoire, l’oralité s’épanche à travers un continuum de modalités qui en en font un art modulé de la conversation comme l’expression d’une haute portée lyrique. Une production plurielle mais éprouvée dans un cadre exclusivement fonctionnel et utilitariste. Historiquement, la production vocale a été pléthorique avant et pendant le génocide, elle s’est tue immédiatement après, avant de renaître. Quelles relations la chanson a-t-elle entretenu avec un tel évènement, comment l’a-t-elle accompagné dans sa préparation, dans son accomplissement et dans son constat hébété. Comment s’y est-elle adaptée et comment, en retour, s’en est-elle trouvée transformée, refaçonnée, dépossédée ? Nous tenterons de répondre à ces questions en abordant les trois répertoires essentiels de cette période : celui des génocidaires, celui des combattants du Front Patriotique Rwandais et enfin celui des chants de mémoire.
Pour chacun de ces répertoires, nous préciserons les enjeux esthétiques et les problématiques musicales qui ont été déployés à travers la grande variété des formes et des langages employés. La chanson, prise dans les rets de l’histoire immédiate la plus abominable qui soit, pour en devenir le grand témoin et le révélateur dévasté. Négocier les identités : l’écoute comparée en France et ses coloniesL’historien de la musique François-Auguste Gevaert soutient en 1875 : « juger c'est comparer ». Lors des concerts, la comparaison entre les œuvres consiste à examiner les similitudes et les différences, tout en contemplant les relations, parfois entre passé et présent. A travers la comparaison, le public forme un nouveau savoir à partir de ce qu’il connaissait déjà, et devient partie intégrante de la production du sens musical. Comme le montre La République, la musique et le citoyen (Pasler 2025), les organisateurs de concerts sous la Troisième République juxtaposaient la musique monarchiste et républicaine, ancienne et moderne, française et étrangère. Les concerts suscitaient une « écoute active », corollaire d'une citoyenneté active, dans un contexte de mutation de l'identité nationale. L’administration coloniale considérait la comparaison comme un élément essentiel du savoir colonial (Labouret 1930). A Alger (1920s-30s), les concerts juxtaposaient le canon européen et la musique arabe, les airs d'opéra français, les nubas médiévales et des chansons arabes humoristiques. Comme en France, ils rassemblaient les populations mixtes pour confronter leurs différences et contempler ce qu'ils partageaient. La musique « live » et celle à la radio réunissaient à Tunis Italiens et Français; à Hanoi Occidentaux, Chinois, et Vietnamiens ; à Tananarive des interprètes français et malgaches; à Rabat des saxophones et clarinettes, ouds et bendirs, interprétant de la musique andalouse. Ces occasions d'écouter et de jouer ensemble encourageaient une compréhension de soi façonnée en relation avec les autres, contribuant à la « compréhension réciproque », et une négociation des identités complexes parmi les diverses populations locales. La comparaison en concert permet ainsi de comprendre les cultures françaises et coloniales comme relevant de la "relation," selon Edouard Glissant, dans laquelle les individus et groupes, indigènes et colons, se transforment mutuellement. La programmation musicale de « Radio-Tunis-PTT » pendant le protectorat : comparaison des sources arabophones et francophonesLa radio en Afrique du Nord, pendant l’ère coloniale, a fait l’objet de certaines recherches historiques et sociologiques. Cependant, seuls Jann PASLER (2023 et 2024) et Christopher SILVER (2023) se sont intéressés à la musique diffusée sur ce média en Tunisie. Dans le cadre du projet ERC MusiCol « Le Son de l’Empire dans les Cultures Coloniales au XXe siècle : Repenser l’histoire à travers la musique » dirigé par Professeur PASLER, ma contribution concerne les programmes musicaux d'émissions radiophoniques tunisiennes, publiés dans les revues francophones et arabophones locales, durant le protectorat. Ici, nous étudions ces programmes de façon juxtaposée pour montrer comment ils interpellent les lecteurs. La revue Radio & Cinéma (1938‑39) a reproduit ces émissions dans les deux langues. Là où la version française annonce « concert » et « musique arabe », la version arabe oppose « fête chantée » et « musique enregistrée ». Ces concerts, animés par des ensembles locaux, sont annoncés par les chanteurs/euses qui les dirigent. Cela démontre une reconnaissance de ces artistes par l’institution radiophonique et une volonté d’adhérer aux attentes culturelles du lectorat arabophone, qui conçoit un événement musical direct par son caractère vivant et oral, par opposition au format enregistré. Ensuite, nous comparons la cohérence de ces programmes avec d’autres sources contemporaines telles que La Dépêche Tunisienne (1889-1961) et Al‑Irada (1934-55). La revue Leïla (1936‑41) rejette le répertoire musical à prédominance égyptienne diffusé sur Radio‑Tunis. Elle critique sévèrement les speakers, musiciens et la confrérie « Al‑Sulāmiyya » qui se conforment à ce courant. Cette étude comparative bilingue révèle comment la radio coloniale explore l’identité culturelle tunisienne en affirmant les musiques locales tout en s’accordant au courant « panarabe » (LAMBERT 2007), et dévoile des lectures distinctes selon la catégorie d’auditeurs. Musique liturgique des Juifs de TunisCe travail sur la musique liturgique des Juifs de Tunis fait partie du projet ERC, Le Son de l’Empire : Repenser l’histoire à travers la musique, qui s’intéresse aux activités musicales dans les principales villes de l’empire français au 20ème siècle. Depuis la fin du 19ème siècle, la communauté juive de Tunis était nombreuse et diversifiée : les Juifs anciens locaux dits Twānsa (tunisiens) ; les Sépharades venus d’Espagne depuis 1492 ; les Juifs originaires d’Espagne et du Portugal, établis à Livourne dits Grana-Gorneyim ; les Juifs français nouvellement établis ; ceux de Tripolitaine qui ont fui l’occupation italienne faschiste ; ceux d’Europe de l’Est Ashkénazes. L'élément juif constituait une part importante de la population tunisienne et Tunis passe pour être une des villes de la Méditerranée qui renferme le plus d'israélites. Ce contexte pose des questions importantes que nous allons aborder : quelle fut la musique liturgique juive de cette mosaïque d’israélites à Tunis ? S’agit-il d’une même musique adoptée par tous ou sommes-nous en présence d’une diversité d’expressions musicales relatives aux différentes communautés ? Existe-il des points de rencontres ? Quel a été l’impact de la présence française, du judaïsme français, et de l’Alliance israélite sur cette musique ? A côté des écoles juives établis par les Français, à quel point l’édification de la Grande Synagogue de Tunis en 1937, selon le modèle européen, a contribué à unifier les juifs de Tunisie, tout comme la musique de leurs cérémonies ? Nous montrerons quelques transcriptions de la musique liturgique tunisienne en commençant avec la "musique hébraïque" du début du 20ème siècle aux archives papiers du baron Rodolphe d’Erlanger. Ce sont les seuls témoignages de cette période de brassage culturel et ils expliquent la codification propre à la cantillation biblique dans le rite tunisien. Quand le salon se fait temple : pratiques de la musique et de l'espace chez la comtesse Merlin et le baron Delmar (1830–1848)« Temple », « sanctuaire », « chapelle », « oratoire » : nombreuses sont les métaphores religieuses employées dans la presse et les mémoires de musiciens pour qualifier les concerts donnés par la comtesse Merlin et le baron Delmar dans leurs hôtels particuliers parisiens pendant la monarchie de Juillet. Ces deux demeures accueillaient régulièrement des concerts de musique vocale dans lesquels se produisaient artistes du Théâtre Italien et amateurs du grand monde sous la direction de Rossini. Le rôle essentiel de ces séances domestiques dans la vie musicale publique de l’époque est bien établi : les artistes pouvaient s’y faire entendre avant leurs débuts officiels, les compositeurs y donner leurs opéras en avant-première et les dilettantes y réentendre les grands airs du répertoire tout en côtoyant les dive et divi des Italiens[^1]. La musicologie historique s’est cependant peu intéressée aux lieux où se déroulaient ces concerts[^2], alors même que les métaphores de l’époque suggèrent que l’étude de ces séances musicales ne peut se faire indépendamment de celle des hôtels particuliers qui les accueillaient. En effet, outre leur connotation religieuse, ces comparaisons ont ceci de particulier qu’elles renvoient à la fois à l’architecture des demeures, aux objets dont elles étaient meublées et aux pratiques sociales et musicales qu’elles abritaient[^3]. Cette communication se propose donc d’étudier conjointement les séances musicales de la comtesse Merlin et du baron Delmar et la matérialité de leurs hôtels particuliers. On s’appuiera sur le croisement de sources variées, et pour la plupart inédites, afin de montrer comment, en faisant résonner pratiques musicales, architecture et décor intérieur, ces deux mécènes créaient des espaces symboliques de représentation de leur identité : plans architecturaux, plans du cadastre parisien, inventaires après décès, catalogues de vente aux enchères, mémoires, journaux, correspondance et presse permettront de comprendre la nature et la singularité des deux cultes célébrés dans ces sanctuaires mondains. [^1]: Voir par exemple Céline Frigau-Manning, Chanteurs en scène. L’œil du spectateur au Théâtre-Italien (1815-1848), Paris, Honoré Champion, 2014, p. 267-269, [^2]: La musicologie historique n’est pas restée en dehors du spatial turn pris par les sciences humaines et sociales à la fin du XXe siècle, mais les travaux sur les lieux et espaces de concert se sont surtout centrés sur le concert public, laissant de côté la sphère domestique. Voir notamment Hans Erich Bödeker, Patrick Veit, Michael Werner (éds.), Espaces et lieux de concert en Europe, 1700–1920. Architecture, musique, société, Berlin : Berliner Wissenschafts-Verlag, 2008. [^3]: Selon Littré, la chapelle est un « lieu consacré au culte dans les palais, dans certaines maisons particulières, hospices, collèges », mais désigne par extension « le calice, les chandeliers et autres objets à l’usage d’une chapelle ». Le sanctuaire désigne un « lieu fermé et consacré par la religion », mais aussi, au sens figuré, « une société […] dans laquelle les profanes ne pénètrent pas. ». Voir Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1885, vol. 1, p. 557 et vol. 4, p. 1816-1817. Le Conservatoire Femina-Musica : prestige, classe et prescriptionsCette communication porte sur le Conservatoire Femina-Musica fondé en 1907 par l’éditeur Pierre Lafitte (1872-1938). Destiné aux gens du monde, essentiellement aux femmes et jeunes filles, il a pour visée « l’élévation du goût musical » en France. La formation proposée permet de développer la pratique en amateur (Musica octobre 1907), puis d’ouvrir la voie vers la professionnalisation (Comoedia novembre 1908). Dans cette communication je retrace, au prisme du genre, l’histoire inédite de cette institution entre 1907 et 1914. La littérature existante en musicologie n’aborde pas le Conservatoire Femina-Musica. En revanche, des recherches significatives analysent les pratiques musicales genrées en France au XIXe et XXe siècles (Harrison-Boisvert et Legault à paraître; Ravet 2011). En mobilisant une approche interactionniste (White 1992-2008; Becker 1988) j’appréhende la problématique suivante : entre le modèle normatif de la féminité bourgeoise de la Belle Époque et un monde en transformation dans lequel les musiciens cherchent à définir leur statut (Duscheneau 2019), comment le Conservatoire Femina-Musica réussit-il à s’implanter dans la vie musicale parisienne de la Belle Époque ? Pour y répondre, je m’appuie sur un corpus documentaire constitué des numéros de Musica et Femina parus entre 1907 et 1914 ainsi que sur des documents provenant de divers fonds d’archives des administrateurs, de professeur.es et d’élèves du Conservatoire Femina-Musica. Je conclus que cette institution s’implante grâce à un réseau relié à celui du Conservatoire national de musique et de déclamation, au récit récurrent et complémentaire entre la notoriété des enseignant.es et les succès individuels des élèves, ainsi qu’à un discours essentialiste sur les pratiques musicales féminines. Des festivals de musique en concurrence dans la France de l'après-guerreDans une lettre de 1946, Jacques Chaban-Delmas prend ses renseignements auprès de son homologue à Orange. Comment demander une subvention pour un festival de musique ? Combien lui coûtait un spectacle de plein air avant la guerre ? Les questions précises posées par le maire de Bordeaux cristallisent des angoisses partagées par la plupart des organisateurs de spectacles pendant l'après-guerre : quels sont les critères d'évaluation de la musique retenus par les administrateurs d'État ? Quels répertoires faut-il privilégier ? La Main de Gloire (Mai musical de Bordeaux, 1950), l'intégrale des Concertos Brandebourgeois (Festival de Lyon-Fourvière, 1952) ou bien Così fan tutte (Festival d'Aix-en-Provence, 1948) ? Dans un contexte où les festivals de musique classique se multiplient dans les régions françaises, la concurrence est rude et la question de la comparaison obsède entrepreneurs, compositeurs et musiciens tout autant que les journalistes et administrateurs d'État qui les évaluent. Au-delà de la question des modèles ou repoussoirs que peuvent constituer des expériences antérieures (Salzbourg, Bayreuth ou Orange par exemple), la question de la rentabilité et de la qualité des représentations festivalières est au centre des discours. Cette communication se propose d'envisager la question de la concurrence artistique et économique au sein de festivals de musique classique créés après la Seconde Guerre mondiale, en particulier à Lyon, Aix-en-Provence et Bordeaux à travers les discours de ses acteurs. Grâce à un dépouillement comparatif des fonds d'archives de ces festivals, ainsi que des sources produites par l'administration d'État, et notamment les rapports des inspecteurs de la musique, nous analyserons la manière dont des organisateurs de festivals rationalisent progressivement des critères d'évaluation de la musique émanant — ou non — de l'administration centrale. La correspondance de Manuel de Falla : description et diffusion sur PARESRiche de plus de 23 000 documents, la correspondance de Manuel de Falla constitue le fonds le plus volumineux de l’Archivo Manuel de Falla. Cette correspondance, majoritairement en espagnol et en français, permet de retracer de façon quasi exhaustive le parcours du compositeur. Elle est aussi une source précieuse d’informations sur le contexte musical, social, culturel, historique et économique de l’époque. En 2024, l’Archivo Manuel de Falla, en collaboration avec Archivos Estatales, dépendant du ministère espagnol de la Culture, a lancé un programme de formation en alternance (TándEM). Ce programme vise à former un total de seize jeunes de moins de 30 ans en archivistique, en musicologie et en documentation musicale. Ceux-ci sont chargés de décrire la correspondance du compositeur sur la plateforme des archives espagnoles (PARES), répartis sur deux sites : l’Archivo Manuel de Falla de Grenade et le Centro de Información Documental de Archivos (CIDA) d’Alcalá de Henares (Madrid). Cette formation est encadrée par une équipe pluridisciplinaire comprenant une musicologue, un spécialiste en archivistique et deux coordinateurs techniques (ETI). Le fruit de ce travail sera prochainement accessible sur la plateforme Archives Portal Europe. Il s’agit d’un projet accordé par le Service Public pour l’Emploi (SEPE), soutenu par le ministère du Travail et de l’Économie sociale dans le cadre du Plan de Relance, et financé par l’Union européenne (NextGenerationEU). Au moment du congrès de la SFM, le projet aura été finalisé. L’objet de cette communication est de présenter la synthèse de mon expérience en tant que musicologue de l’équipe : axes de formation, méthodologies mises en œuvre, rédactions de protocoles, difficultés rencontrées sur le terrain, communication entre les institutions partenaires et les différents acteurs du projet, résultats. « Mes disques dormaient au fond de mes tiroirs » : Curating Emma Calvé’s Personal Record CollectionCurating Emma Calvé’s Personal Record Collection
In November 1938, the seventy-two-year-old singer Emma Calvé wrote to the world renowned record collector Guy Ferrant to thank him for having sent her a list of the sound recordings she had made over the course of her career: ‘Comme vous êtes gentil, et compréhensif. Voilà que vous m’envoyez juste ce que j’allais vous prier de me donner = la liste de mes disques’. ‘Savez-vous que je ne les connais pas tous!’ she continued, wryly observing that while she had been busily touring the world ‘mes disques dormaient au fond de mes tiroirs’. Only in old age—an old age spent mostly in a secluded château in Cabrières, a commune deep in the south of France—had she finally found the time (or inclination) to acquaint herself with what she would leave behind in the form of sonic heritage. Calvé’s personal record collection—twenty discs in total, more than half of which are unpublished ‘enregistrements d’essai’ or ‘test recordings’—has lain silent since her death, quietly preserved (along with many other of her belongings) in Millau, where the singer was buried in 1942. Over the past two years, I have worked closely with the Musée de Millau et des Grands Causses to facilitate the digitisation of these discs ahead of its first major exhibition on Calvé (launching in 2026). In this talk, I take the first steps towards contextualising this unique collection, which has much to tell us about the curatorial impulse, from Calvé’s late-in-life enthusiasm for cataloguing and classifying her recorded legacy to the many and various interests—of private collectors, public institutions, and even supposedly disinterested scholars—that have kept her legacy alive over the past century.La pensée musicale de Fontenelle : histoire et esthétique du chantL’intérêt de Fontenelle pour la musique est bien connu des spécialistes. Le philosophe est d’abord identifié comme compositeur de livrets d’opéras et de tragédies lyriques, mis en musique par Lully (Psyché, en collaboration avec Thomas Corneille, 1671), Collasse (Enée et Lavinie, 1690) et Colin de Blamon (Endymion, 1731). Un volume collectif de la Revue Fontenelle a permis de mieux situer la place et l’influence de l’écrivain dans l’histoire de l’opéra français, dans le sillon de Quinault et de Lully[1]. On connaît également la contribution savante du secrétaire de l’Académie des sciences qui consacra plusieurs mémoires à l’acoustique, dans la lignée de Sauveur, dont il soutint les travaux[2]. Certaines études ont par ailleurs remarqué la présence diffuse de la musique dans ses œuvres (traités et dialogues, correspondance…), où elle est parfois convoquée à titre de métaphore ou d’exemple, dans des raisonnements philosophiques[3]. On s’est en revanche peu intéressé aux considérations musicales de Fontenelle. Celui-ci ne consacre pas de traité à cet art en tant que tel, mais il revient à plusieurs reprises sur le sujet, au détour de ses réflexions consacrées à la poétique et à la philosophie, mais aussi dans certaines œuvres de fiction. Ces commentaires touchent en l’occurrence à l’art du chant, et à son histoire, associée chez lui à celle de la poésie et du langage, comme elle l’était chez Rousseau à la même époque. Fontenelle traite également du chant en philosophe et en auteur du monde, attentif à ses usages et ses vertus, dans le sillon de la tradition humaniste, qu’il redéfinit dans le contexte de la civilisation galante. L’auteur envisage encore le chant sous un angle esthétique, dans son rapport à l’opéra, conçu chez lui comme un art du movere et du merveilleux qu’il est l’un des premiers à théoriser. Notre communication aura pour but de mettre en lumière sa doctrine du chant en éclairant ses enjeux culturels, esthétiques et intellectuels. Nous nous appuierons pour cela sur son œuvre philosophique, mais également sur ses textes littéraires et ses discours sur la poétique, où la musique tient un rôle non négligeable. Le but sera de resituer la pensée musicale fontenellienne dans son contexte historique, et de réévaluer l’importance de cet art dans son œuvre. [1] Fontenelle et l’opéra, Rue Fontenelle, Judith le Blanc et Claudine Poulouin (dir.), n°13, 2021. Voir notamment dans le volume les contributions de Jean Duron, « Écrire un nouvel opéra après Lully et Quinault : le cas de Thétis et Pélée de Fontenelle et Collasse », et de Perry Gethner, « Le mythe d'Endymion et sa transformation générique : entre tragédie et pastorale ». [2] Voir à ce sujet Théodora Psychoyou, « Fontenelle et les métamorphoses du domaine musical à l’aube du XVIIIe siècle : l’entrée de l’acoustique à l’académie des sciences », Revue Fontenelle, n° 13. Fontenelle et l’opéra, éd. Claudine Poulouin et Judith le Blanc, PURH, 2021, p. 53-71. [3] Voir notamment l’étude de Marie-Susana Seguin, « Fontenelle et la transmission des savoirs », dans Les Lumières en mouvement. La circulation des idées au XVIIIe siècle, Isabelle Moreau (dir.), Lyon, ENS Éditions, 2009, p. 27-44. La maladie de la scène. L’invention du trac au XIX e siècleLa peur de la scène, souvent désignée de nos jours par le terme « trac », suscite un intérêt exponentiel depuis le début du XXe siècle. Si les approches psychologiques voire neurologiques sont favorisées pour « vaincre » ou « maîtriser » le trac, celui-ci n’est jamais abordé sous un angle historique. Pourtant, plusieurs questions, souvent évacuées par les ouvrages actuels, gagneraient à être traitées : cette émotion a-t-elle toujours existé ? De quelle manière était-elle ressentie, décrite et pensée ? Quelles ont été les conditions épistémologiques qui ont permis l’établissement d’une nouvelle catégorie médicale ? Et enfin, quel rôle la musique, comme champ de pratiques, objet de savoirs et de discours, a-t-elle pu jouer dans l’émergence de cette catégorie ? Interroger le trac sous un angle historique nécessite de croiser différents champs d’étude puisqu’un tel travail relève autant de l’histoire des émotions que de celle de la médecine, de l’histoire des représentations ou encore de celle de la musique. Souvent présenté comme un cas de sensibilité exacerbée par la pratique artistique qui suscite chez lui une suractivité nerveuse, le musicien est un sujet de choix pour la médecine française du long XIXe siècle. Notre recherche porte essentiellement sur les artistes lyriques qui rencontrent des problèmes spécifiques liés à la mémoire, à la langue ou encore au jeu scénique. Notre travail vise à dépasser le postulat qui domine les ouvrages de psychologie actuels faisant du trac un phénomène naturel dont l’intensité varie selon les tempéraments. Un regard historique sur la peur de la scène semble permettre de contredire l’idée d’une peur naturelle et de s’éloigner de la vision essentialiste et évolutionniste actuelle qui permet d’entretenir un certain marché du trac. À travers l’exploitation d’archives institutionnelles ou personnelles ; de la presse ; de traités de chant ; de travaux médicaux ou encore de littérature contemporaine, nous verrons que l’invention du trac en France au XIXe siècle est dû autant aux développements des interactions entre les milieux musicaux et médicaux qu’à un système musical de plus en plus animé par la notion de performance. Étudier le son de la fête d’Ancien Régime. Une proposition épistémologiqueLes cadres épistémologiques de l’histoire urbaine, des sound studies et des performance studies ont largement contribué à renouveler l’étude de la fête à l’époque moderne. Les travaux qui s’en inspirent ont cependant suscité un certain nombre de critiques dont deux paraissent essentielles. La première concerne le paysage sonore et interroge la capacité des musicologues non seulement à reconstruire le paysage sonore urbain mais aussi à passer de la réalité physique des sons à celle de l’écoute située, c’est-à-dire à prendre en compte la relation des citadins à l’environnement sonore de leur ville et la manière dont le son impacte leur rapport au temps et à l’espace. La seconde critique concerne la place de la musique dans le continuum sonore que génère l’espace urbain, alors que celle-ci est souvent réduite aux conditions du fait musical et de ses significations sociales et politiques, ou négligée au profit des formes d’expression musicale populaires et des bruits de la rue. Cette communication présente la réflexion épistémologique que j’ai menée pour contourner ces difficultés à l’occasion de l’étude des fêtes célébrées pour la naissance du Dauphin, fils de Louis XV, en 1729. Elle examine l’intérêt d’associer le concept de macro-événement spectacle, tel que l’a élaboré Guy Spielmann, et celui d’expérience, soit à travers les formes de l’expérience, selon la perspective historique de Bernard Lepetit (1995), soit dans le rapport entre expérience et intrigue, mis en évidence par John Dewey (1934). Alors que l’enquête concerne plus de deux cent cinquante villes en France qui conservent des traces écrites des fêtes pour la naissance du Dauphin, je souhaite montrer comment cette alternative épistémologique permet d’éviter à la fois le piège de l’essentialisation, que renforce le statut officiel des sources imprimées, et le risque d’un processus infini de catégorisation. Monuments musicaux et mise en scène : Bach de Paris à LondresL’engouement pour l’interprétation au piano des œuvres pour clavier de Bach, tel qu’il s’est développé lors du dernier quart du XIXe siècle et le premier quart du XXe, témoigne de changements culturels concernant la musique du passé, la musique de Bach, et surtout la notion de « monument musical » sur la scène. De part et d’autre de la Manche, des séries de concerts signalent un « avant » et un « après. » En France, ce sont les dix-sept récitals donnés par Blanche Selva en 1904 à la Schola Cantorum, présentant les œuvres complètes pour clavier. En Angleterre, la Bach Week de Harold Samuel attira l’attention de la presse musicale en 1921 et se répéta sporadiquement à Londres lors de la décennie suivante. J’entreprends une comparaison entre ces deux moments charnière et leur influence dans la diffusion de ce répertoire. À l’approche systématique et totalisante de Selva, une En se penchant sur la façon d’agencer et présenter le répertoire, sur les choix de lieu et sur les discours suscités par ces évènements, la communication cherche à clarifier la façon dont était comprise la « monumentalisation » de compositeurs comme Bach dans la culture de concert de ces deux métropoles. Par ailleurs, le rôle qu’a joué Blanche Selva dans l’histoire du pianisme Bachien a jusqu’à présent été éclipsé par les nombreuses autres raisons pour s’intéresser à elle. Ce projet a donc l’ambition d’enrichir et approfondir notre compréhension d’un personnage important de la musique française au début du vingtième siècle. « ADIOS TOLEDO ! »Dans le prolongement d’une première participation aux rencontres 2024 organisées par l’Institut d’Ethnologie et d’Antropologie Sociale d’Aix-Marseille, Michaël Dian et Julien Grassen Barbe, proposeront une lecture croisée des enjeux artistiques et culturels, esthétiques et politiques, qui sous-tendent la création d’Adios Toledos ! un projet porté en production déléguée par l’Espace Culturel de Chaillol. Reflet d’un monde en mouvement, la création musicale peut-elle encore se définir à partir des canons de l’académisme institutionnel ? Comment le travail des artistes se nourrit-il des bouleversements des anciennes hiérarchies, favorisés par l’achèvement d’une globalisation numérique qui brouille, jusqu’à l’abolir, la distinction entre musiques savantes et héritages traditionnels, entre mémoire et création ? Une conversation à deux voix pour éclairer tout à la fois le mode d’élaboration artistique choisi par le compositeur et les modalités de mise en œuvre d’une production dans le champ institutionnel des musiques de création. Territoires en relation : composition musicale entre vivant et calculCette communication s’appuie sur une pratique de recherche-création qui fait se rencontrer deux régimes de temporalités : celles, souples et respirées, trouvées chez les organismes vivants ; celles, discrètes et quantifiables, issues de la mesure solfégique et du calcul numérique. En situant la composition comme lieu d’entrelacs, je montrerai comment l’empreinte métrique héritée de la musique occidentale peut se fissurer pour accueillir l’instabilité, la dérive et la relative incalculabilité propres aux milieux vivants, sans renoncer aux potentialités d’analyse et de production sonore des outils numériques. Expressions acoustiques de territoires en relation, les sons du vivant ne se laissent ni réduire à un naturalisme sonore ni à une abstraction calculée ; ils forment des zones de frottement où l’écoute se déplace, où la mesure devient porosité, où la machine – microphone, casque, ordinateur – se fait partenaire plutôt que simple outil. Il s’agit donc de mettre en lumière les passages – et les tensions – entre élan organique et quantification, entre flux vibratiles et représentations fixées, afin de dégager des manières de créer qui relient plutôt qu’elles n’isolent. Il s’agit, in fine, de penser la musique comme « territoire » de relation au monde. Timbres et durées dans la m usique rituelle d’Elsa Barraine (1966–1967)Jeune prodige et Prix de Rome, communiste et résistante sous l’Occupation, accompagnatrice expérimentée puis enseignante au Conservatoire de Paris, la compositrice française Elsa Barraine (1910-1999) a signé plus de 150 opus. Composée en 1966-1967, sa Musique rituelle est exceptionnelle à plus d’un titre. Elle est d’abord une œuvre à l’instrumentation totalement inédite, mêlant pendant près de 45 minutes le souffle du grand orgue, le métal du tam-tam et le bois du xylophone. Elle témoigne corrélativement d’un profond renouvellement du langage de la compositrice, restée jusqu’au début des années 1960 fidèle à une écriture tonale enrichie et à une rythmique occidentale traditionnelle. Ce renouvellement est indissociable de la source d’inspiration de l’œuvre : le Bardo Thödol, livre des morts tibétain, dont la lecture conseillée à Barraine par Olivier Messiaen est à l’origine non seulement de son propos, mais aussi de sa forme et de son organisation rythmique. Musique rituelle est ainsi constituée de sept parties, qui sont les sept étapes par lesquelles passe l’âme durant les 49 jours suivant la mort, avant d’être soit réincarnée, soit d’atteindre la délivrance. L’écriture rythmique y est particulièrement élaborée, fondée sur les multiples du chiffre 7 et sur 49 durées renvoyant aux 49 jours de ce voyage spirituel jusqu’à la libération de l’âme. À partir des manuscrits musicaux et d’autres sources conservées dans le fonds Barraine de la Bibliothèque nationale de France, cette communication proposera une analyse des timbres et de l’organisation rythmique de la partition en lien avec le texte du Bardo Thödol auquel la compositrice se réfère en permanence. Le propos sera accompagné d’exemples issus des deux enregistrements existants de Musique rituelle : celui que Raffi Ourgandjian, créateur de l’œuvre en 1967 à la cathédrale de Lausanne, a réalisé en 2010 chez Marcal Classics, et celui que Lucile Dollat vient de graver chez Radio-France. L’héritage de Béla Bartók dans la pensée compositionnelle d’Olivier MessiaenBéla Bartók occupe aujourd’hui une place incontestable parmi les grandes figures de la modernité musicale européenne. Pourtant, sa réception, de son vivant jusque durant la Guerre Froide, demeure contrastée, tant en Hongrie que dans le reste du monde. En France, son influence, d’abord discrète, s’affirme nettement après son décès en 1945. À cet égard, Olivier Messiaen constitue un cas intriguant d’une réception créative de Bartók. Cette communication consiste à révéler des corrélations entre les langages musicaux des deux compositeurs, en particulier l’importance qu’ils accordent aux structures symétriques. Comment Messiaen s’approprie le langage musical de Bartók ? Les brouillons de composition de Messiaen archivés à la Bibliothèque nationale de France constituent de vastes répertoires de références musicales et extra-musicales. Parmi d’abondantes transcriptions à diverses œuvres du répertoire, les renvois à Bartók sont si nombreux que ce dernier semble exercer une influence majeure sur l’esprit créatif de Messiaen. Toutefois, cette présence contraste avec la place, plus modeste, qu’il accorde à Bartók dans son discours public. Balmer, et al. 2017 distinguent différents prismes déformants par lesquels Messiaen s’approprie ses emprunts. J’examinerai l’adéquation de ces prismes sur les occurrences de Bartók révélées par lesdocuments d’archive. Le Cahier « rouge » (ca 1943) est particulièrement révélateur de l’influence de Bartókchez Messiaen, et comporte de nombreux travaux préparatoires pour les Visions de l’Amen (1943), mais aussi des références au Quatuor à cordes n°5 (1934), et à la Musique pour cordes, percussion et célesta (1936) ; ces deux dernières œuvres sont emblématiques pour leur architecture symétrique. Nous observerons qu’en dépit des discordes relayées par l’avant-garde musicale française sur la production de Bartók (par exemple, Leibowitz 1947), l’importance et la complexité que prend son langage dans les années 1930 le prédispose à devenir une référence pour une génération de compositeurs au 20ème siècle. On the possibilities of surrealist thinking musically and in multimedia contextsIn this paper we contemplate on the possibilities of surrealist thinking via analysis and creation purely musically and in multimedia contexts. Although there is research on music, surrealism and other -isms of the first half of the 20th century (e.g. Greer 1969, Minneman 2019) and several composers have been regarded either directly or indirectly as surrealist composers (e.g. Erik Satie, Francis Poulenc, George Antheil, John Cage) it is the consensus to say that surrealist music as an independent style doesn't exist. However, surrealist thinking and its technical methods of unleashing creativity has survived in the arts practice as well as through the way e.g. surprise, foreignness and unfittingness in the arts and music are received and expressed by critics, via analysis and even in everyday language. In general surrealist elements in music include aspects of sound, the unconscious, disruption of traditions, perception and experience (Hariharan 2024). Both authors have presented these topics in two symposia at the Pärnu Days of Contemporary Music 2024 and 2025 (surrealist manifesto 100, Estonian Arnold Schoenberg Society). In this paper the first author presents his further developed model of surrealist music (Lock 2024) including the role of mind, error, serendipity and performativity (Lock 2021, Lock & Sikk 2022), romanticism (Two-Worlds-Model, Eggebrecht 1996; Beethoven’s 9th, Žižek 2024) and opposite thought (Wright 2020) (Lock & Hariharan 2025). The first author advocates and applies possibilities of surrealist thinking both as a cognitive researcher and a composer. The second author has observed surrealist thinking and creativity in diverse multimedia contexts (e.g. Salvador Dalí and Walt Disney, Hariharan 2024) and presents a model of his analysis of Pink Floyd's “The Wall” (1979) (album, film and live show, Lock & Hariharan 2025) from a surrealist perspective. The second author advocates possibilities of surrealist thinking especially in multimedia contexts. La musique Highlife : un voyage jazzy aux harmonies diasporiques et aux influences panafricaines en Afrique de l’OuestCette communication propose une analyse historique et musicologique de la musique Highlife, apparue à la fin du XIXe siècle sur la Côte de l’Or (actuel Ghana), en tant que forme musicale hybride née des circulations atlantiques entre l’Europe, l’Afrique, les Amériques et les Caraïbes. À partir d’un corpus de sources historiques (archives militaires, récits de missionnaires, mémoire musicale locale) et d’extrais musicaux contextualisés (Adenkum, Osibi, Adaha, Konkoma, Palmwine, Gome, Odonson…), nous retraçons l’évolution du Highlife comme un processus d’appropriation esthétique, dans un contexte colonial et postcolonial, où les élites comme les classes populaires ont joué un rôle actif dans la réinvention des formes musicales. L’étude met en lumière trois grandes phases stylistiques du Highlife : le Adaha, né dans les fanfares militaires et adapté par les musiciens fanti dans un but récréatif ; le guitar-band Highlife, qui puise dans les musiques maritimes des marins Kru (asiko, maringa, palmwine) ; et enfin le Highlife moderne d’après-guerre, incarné par Emmanuel Tettey Mensah ou encore Kofi Nyame, influencé par le jazz américain et annonciateur de l’afrobeat (créé au Nigeria). Loin d’un discours idéologique figé, cette analyse propose une lecture située et différenciée de l’histoire musicale ouest-africaine, en insistant sur le rôle social de la musique, son rapport à la classe, à la circulation transnationale et à la résilience postcoloniale. Le Highlife apparaît ainsi non comme une simple musique de divertissement, mais comme un langage culturel dynamique, négociant constamment ses formes entre domination coloniale, influences atlantiques et ancrage local. Bat tenèb, musique et mouvement #PetroCaribeChallenge à Port-au-Prince (14 août 2018 -17 août 2020)Ce travail de recherche, mené dans le cadre d’un master 2, s’intéresse à l’usage des pratiques musicales et sonores dans un contexte de mobilisation populaire à Port-au-Prince, Haïti. Il propose une analyse du mouvement social #PetroCaribeChallenge, apparu en août 2018, en interrogeant la manière dont le son y est mobilisé comme forme d’action politique. L’étude porte principalement sur la pratique appelée bat tenèb, qui consiste à produire du bruit à l’aide d’objets du quotidien (assiettes en aluminium, cuillères, poteaux en fer, etc.) dans l’espace public ou chez soi, de jour comme de nuit, pour exprimer colère et mécontentement. Cette forme de protestation sonore s’inscrit dans une dynamique de dénonciation de la corruption à la gestion des fonds de l’État. Si le bat tenèb présente des similitudes avec d’autres pratiques comme le cacerolazo (panelaço) en Amérique du Sud (Chili, Brésil, etc.) ou le concert de casseroles en France (Achille, 2020 ; Combis, 2017), nous refusons une lecture strictement diffusionniste. L’approche retenue met en lumière les spécificités contextuelles, temporelles et symboliques du bat tenèb à Port-au-Prince, à partir d’une enquête de terrain articulant entretiens semi-directifs, observations participantes et enregistrements audio. La communication interroge également une autre expression du mouvement, la Danse petro, une musique qui a été composée par Antonio Cheramy dit Don Kato et Pierre Rosemond dit 27 Wòklò contre la dilapidation du fonds PetroCaribe. Ce travail vise à analyser le bat tenèb et la Danse petro à partir du concept « d’arme sonore ». L’objectif est de mieux comprendre la place du sonore dans la construction d’une lutte populaire au contexte haïtien. Écrire l’histoire : un travail de musicien ? L’Essai historique sur l’établissement de l’Opéra en France de Louis-Joseph Francœur (ca 1801)Administrateur de l’Opéra de Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Louis-Joseph Francœur rédigea vers la fin de sa vie un manuscrit intitulé Essai historique sur l’établissement de l’Opéra en France depuis son origine jusqu’à nos jours, et diverses notes sur ce théâtre (ca 1801). D’après une note de l’auteur conservée à la Bibliothèque-musée de l’Opéra, cet essai est le fruit d’un long travail de rassemblement des archives du théâtre, qu’il a annotées et qu’il gardait encore à son domicile au moment de son décès en 1804. Si l’œuvre de Francœur a fait l’objet de recherches récentes, concernant notamment sa collection musicale, ses cantates et ses arrangements d’opéras, aucune étude n’a été consacrée à son Essai historique. L’analyse comparative de son de texte, de ses manuscrits de travail et de ses papiers personnels permettra d’aborder les questions suivantes : comment Francœur organise-t-il son histoire ? Comment périodise-t-il les événements ? Quelles informations retient-il et quelles sont celles qu’il exclut ? Quelles sont ses sources et sur quels critères choisit-il ou non de les citer ? Quels textes et quels auteurs privilégie-t-il, et pourquoi ? La comparaison avec d’autres histoires des spectacles de son temps nous permettra de mettre en évidence la spécificité du travail de Francœur et de comprendre dans quelle mesure son texte porte la marque de ses activités de musicien, de compositeur et d’administrateur. Valorisation du patrimoine du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence : bases de données, médiation et enjeux musicologiques — [AixOPÉRA (1948–2028) – 80 ans de patrimoine de la scène lyrique]AixOPÉRA est un projet financé par A*Midex (Initiative d’excellence d’Aix-Marseille Université), qui explore l’histoire de l’opéra sous un angle pluridisciplinaire. Le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, manifestation musicale majeure depuis 1948, a produit un riche patrimoine, dont la Ville est aujourd’hui le principal dépositaire. Le partenariat d’Aix-Marseille Université avec le Festival et les institutions culturelles de la Ville autour du projet AixOPÉRA entreprend un important travail de recherche et de valorisation du patrimoine du Festival : décors, costumes et objets de la scène issus des productions d’opéra, mais aussi archives sonores et audiovisuelles. Le projet a pour objectif d’inventorier, de préserver, de valoriser et de rendre accessibles des collections éparses et méconnues et multipliera les initiatives de sensibilisation dans le domaine de l’opéra et des arts du spectacle. AixOPÉRA permettra ainsi d’enrichir la compréhension de l’univers de l’opéra, de préserver un patrimoine d’exception et de donner accès à de riches collections d’art lyrique et du spectacle vivant, notamment par le biais de nouveaux usages du numérique au service du patrimoine. Carnet de recherche du projet : https://aixopera.hypotheses.org/. Dans le cadre des journées SFM, nous présenterons les dimensions musicologiques et historiques du projet, portées en collaboration entre le Festival et le laboratoire PRISM. Nous exposerons l’ensemble du projet de valorisation interdisciplinaire des archives du Festival, et plus particulièrement l’état d’avancement des travaux de catalogage des archives sonores et audiovisuelles (description du fonds, catégorisation, etc.) ainsi que la plateforme documentaire en cours d’élaboration (mise en conformité, choix des normes, dialogue interdisciplinaire, etc.). Nous présenterons également les actions de médiation scientifique prévues autour de l’écoute des archives sonores. Ces deux volets permettront alors de réfléchir aux apports et aux spécificités des archives musicales au sein d’une base de données interdisciplinaire, ainsi qu’aux enjeux de leur valorisation pour plusieurs types de publics. Peut-on utiliser des outils quantitatifs pour choisir le répertoire d’opéra ? Cas particuliers des rôles pour voix de mezzo-soprano et de baryton dans les opéras de MozartLe choix d’un répertoire approprié constitue un enjeu majeur de la pratique vocale des artistes lyriques, tant dans les lieux de formation que sur les scènes professionnelles. Depuis quelques décennies, des recherches ont tenté d’établir une correspondance entre les aptitudes d’un·e chanteur·se et les caractéristiques d’une œuvre du répertoire vocal, en s’appuyant sur des outils technologiques d’analyse, des modèles scientifiques et des données quantifiables (Titze, 2008). Une description précise de la tessiture de l’œuvre (tessituragramme) est ainsi obtenue grâce à des calculs sur les données de la partition, tandis que des mesures permettent d’établir le profil vocal des chanteur·se·s (phonétogramme). Dans le cadre du projet de recherche QuanTORS mené à la Haute École de Musique de Lausanne (Suisse) en partenariat avec un laboratoire de recherche du CNRS (Grenoble) depuis 2024, plusieurs centaines d’airs d’opéra du répertoire ont été analysés quantitativement et leurs caractéristiques – en particulier leur tessiture – ont été comparées à l’aide d’outils statistiques. Les résultats de cette étude permettent de mieux comprendre – et parfois d’interroger – les classifications vocales actuellement en vigueur sur les scènes européennes et dans les établissements d’enseignement de la musique. Si la tessiture d’un air d’opéra constitue un élément important de la sélection du répertoire pour un·e chanteur·se, elle n’est en réalité qu’un facteur parmi d’autres de ce choix, où la tradition tient une place importante. Le cas des voix moyennes se révèle dans ce domaine particulièrement instructif : alors que, à l’époque de la composition des opéras de Mozart, les termes « baryton » et « mezzo-soprano » étaient peu employés, ils se révèlent aujourd’hui étroitement associés à des rôles aussi emblématiques que Papageno dans Die Zauberflöte ou Cherubino dans Le nozze du Figaro. Sur quelles bases peut-on, dès lors, contribuer à un choix éclairé du répertoire mozartien ? Musique savante française et musique populaire colombienne : identité nationale dans Chirimía y Bambuco Sotareño op. 43Au tournant des XIXe et XXe siècles, certains compositeurs français se sont engagés dans une redéfinition du patrimoine musical national, visant à revaloriser le répertoire populaire tout en renouvelant leur inspiration artistique. Vincent d’Indy occupe, à cet égard, une position centrale. Il collecte et intègre dans ses œuvres divers thèmes populaires afin de renforcer tant sur le plan musical que philosophique ses créations, tout en consacrant une attention rigoureuse à la formation de ses élèves au sein de la Schola Cantorum. En 1921, le compositeur et pianiste Antonio María Valencia bénéficie d’une bourse accordée par le gouvernement colombien pour poursuivre son perfectionnement académique en Europe. À cette époque, Guillermo Uribe Holguín (1880-1971), directeur du Conservatoire National de Bogotá et ancien élève de Vincent d’Indy, encourage vivement Valencia à approfondir sa formation au sein de cet établissement parisien réputé. Ainsi, ces deux figures majeures du courant nationaliste musical colombien sont formées à la Schola Cantorum sous la direction de d’Indy : Guillermo Uribe Holguín entre 1907 et 1911, puis Antonio María Valencia entre 1923 et 1929. Au cours de son séjour à Paris, Valencia acquiert progressivement une reconnaissance notable en tant que pianiste tout en poursuivant assidûment la composition de ses œuvres. Dès 1923, il s’inscrit aux cours de piano et de composition à la Schola Cantorum, où il bénéficie de l’enseignement rigoureux de Vincent d’Indy pour la composition et de Paul Braud pour le piano. Profondément marqué par les principes pédagogiques et esthétiques prônés par d’Indy, Valencia approfondit son étude du « terroir » afin, à l’instar d’Indy, de puiser son inspiration dans les musiques populaires en vue de construire son œuvre musicale. Dans Chirimía y bambuco Sotareño, Valencia s’efforce manifestement d’incarner l’essence des improvisations populaires, caractérisées par l’alternance entre rythmes binaires et ternaires, propres aux musiques traditionnelles du sud de la Colombie. Le compositeur opère une synthèse des divers éléments constitutifs de l’esthétique globale de son œuvre en intégrant les rythmes populaires au sein d’une palette harmonique qui rapproche cette musique de l’esthétique française du début du XXe siècle. À travers cette composition, Valencia cherche vraisemblablement à interpréter musicalement sa région et son pays, non seulement en s’inspirant de l’art des musiques populaires, mais aussi en mobilisant l’ensemble des formes d’expression musicale étudiées lors de sa formation académique à la Schola Cantorum de Paris. Cette communication propose une analyse approfondie des divers éléments constitutifs de cette œuvre, en mettant en exergue la manière dont les composantes issues des musiques populaires et des traditions colombiennes — omniprésentes dans l’ensemble de la production valentinienne — se structurent et s’enrichissent sous l’influence conjuguée de la musique savante française imprégnant de manière significative tant l’œuvre que la trajectoire du compositeur. Dans cette perspective, le concept de transferts culturels offre un cadre de réflexion pertinent pour appréhender non seulement l’influence exercée par la France sur l’esthétique musicale de Valencia, mais aussi sa contribution à la construction artistique ainsi qu’au développement institutionnel d’une académie musicale en Colombie.Chanter la France au Québec : Marguerite Béclard d’Harcourt et Raoul d’Harcourt à la croisée du folklorisme et du nationalismeEn 1852, animé par une volonté nationaliste, Louis-Napoléon Bonaparte exprime le souhait de constituer une anthologie du folklore français, incluant entre autres les répertoires de territoires perdus comme le Canada français. Ce projet donne lieu à plusieurs publications marquantes à la fin du siècle, telles que Contes français (1885) de Henry Carnoy, intégrant des récits québécois, Mélodies populaires des provinces de France (1899) de Julien Tiersot, ou encore Chansons populaires françaises et canadiennes (1910) d’Émile Vuillermoz. Cette quête d’authenticité nationale traverse les générations, soutenue par des figures comme Henri Collet, Maurice Emmanuel et Marguerite Béclard d’Harcourt. Dans la première moitié du XXe siècle, cette dernière, compositrice et ethnomusicologue, en collaboration avec son mari anthropologue Raoul d’Harcourt, est mandatée par le Musée National du Canada pour transcrire les chansons traditionnelles enregistrées au Québec par Marius Barbeau et Édouard-Zotique Massicotte en 1916-1918. De cet intense travail de transcription découle la publication des Chansons populaires du Vieux Québec (1938), et des Chansons folkloriques françaises au Canada : Leur langue musicale (1956). Dans ces ouvrages, les auteur·e·s 1) explorent la richesse musicale des airs franco-québécois de tradition orale; 2) insistent sur l’origine française de toute chanson du Canada français; 3) appellent à une collecte rapide de ces chansons afin de sauvegarder le patrimoine non pas québécois, mais bien français. L’objectif de la présente communication est donc de mettre en lumière l’importance des travaux du couple d’Harcourt dans la valorisation de la musique dite folklorique québécoise, tout en explorant d’une part le discours national français au cœur du projet, et d’autre part les apports de leur approche musicale et anthropologique dans la conservation et la remembrance de ce répertoire. Francisca Apumayta : india noble et compositrice à Cochabamba au crépuscule de l’empire espagnol »Dans le Livre des baptêmes des Indiens de l’année 1756, conservé à la paroisse de Santo Domingo de la ville de Cochabamba en Bolivie, figure l’enregistrement du baptême de « Francisca, indienne noble, fille d’Agustín el organero, originaire de Cuzco ». Il s’agirait du même Don Agustín Apumayta, organiste de la paroisse de l’Hôpital des Naturels de Cuzco et membre de la noblesse andine locale, qui, quelques années auparavant, avait été engagé dans l’ancienne capitale de l’Empire inca pour former musicalement une jeune aspirante au noviciat, lui transmettant l’ensemble des savoirs requis pour la pratique musicale dans un monastère. À la fin du XVIIIᵉ siècle, c’est sa propre fille, Francisca, qui avait développé ces compétences au point d’être désignée sous le nom de « Maestra Apumayta » au sein d’une communauté féminine à laquelle elle était associée : le monastère des clarisses de Santa Clara de Cochabamba. La présente communication s’appuie sur une recherche doctorale consacrée à la vie musicale dans ce monastère bolivien. Celle-ci a permis l’étude des vestiges musicaux de l’époque coloniale qui y sont conservés, parmi lesquels des compositions de Maestra Apumayta, figure identifiée grâce à l’analyse de sources archivistiques. En prenant Francisca comme point de départ, divers documents coloniaux ont permis de reconstituer sa filiation généalogique, révélant l’existence de la famille Apumayta, une lignée de musiciens itinérants issus de la noblesse locale, actifs dans deux villes andines durant la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle. L’identité de Francisca, sa musique ainsi que ses liens familiaux constituent autant d’éléments inédits mis en lumière par cette recherche et présentés dans cette communication. Elle représente aujourd’hui un exemple unique de femme indigène et compositrice dont les œuvres ont traversé le temps, du crépuscule de l’empire espagnol à nos jours.
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